Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/65

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chestre, n’était-il pas nécessaire de laisser encore les instruments figurer seuls sur le premier plan du tableau qu’il se proposait de dérouler ?… Une fois cette donnée admise, on conçoit fort bien qu’il ait été amené à chercher une musique mixte qui pût servir de liaison aux deux grandes divisions de la symphonie ; le récitatif instrumental fut le pont qu’il osa jeter entre le chœur et l’orchestre, et sur lequel les instruments passèrent pour aller se joindre aux voix. Le passage établi, l’auteur dut vouloir motiver, en l’annonçant, la fusion qui allait s’opérer, et c’est alors que, parlant lui-même par la voix d’un coryphée, il s’écria, en employant les notes du récitatif instrumental qu’il venait de faire entendre : Amis ! plus de pareils accords, mais commençons des chants plus agréables et plus remplis de joie ! Voilà donc, pour ainsi dire, le traité d’alliance conclu entre le chœur et l’orchestre ; la même phrase de récitatif, prononcée par l’un et par l’autre, semble être la formule du serment. Libre au musicien ensuite de choisir le texte de sa composition chorale : c’est à Schiller que Beethoven va le demander ; il s’empare de l’Ode à la Joie, la colore de mille nuances que la poésie toute seule n’eût jamais pu rendre sensibles, et s’avance en augmentant jusqu’à la fin de pompe, de grandeur et d’éclat.

Telle est peut-être la raison, plus ou moins plausible, de l’ordonnance générale de cette immense composition, dont nous allons maintenant étudier en détail toutes les parties.

Le premier morceau, empreint d’une sombre majesté, ne ressemble à aucun de ceux que Beethoven écrivit antérieurement. L’harmonie en est d’une hardiesse quelquefois excessive : les dessins les plus originaux, les traits les plus expressifs, se pressent, se croisent, s’entrelacent en tout sens, mais sans produire ni obscurité, ni encombrement ; il n’en résulte, au contraire, qu’un effet parfaitement clair, et les voix multiples de l’orchestre qui se plaignent ou menacent, chacune à sa manière et dans son style spécial, semblent n’en former