Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/270

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de vingt ans. Puis c’est un dégoût, une froideur, une répulsion pour mon travail, qui m’épouvantent. Je ne doute jamais : je crois et je ne crois plus, puis je recrois… et, en dernière analyse, je continue à rouler mon rocher… Encore un grand effort, et nous arriverons au sommet de la montagne, l’un portant l’autre.

Ce qu’il y aurait de fatal en ce moment pour le Sysiphe, ce serait un accès de découragement venu du dehors ; mais personne ne peut me décourager, personne n’entend rien de ma partition, aucun refroidissement ne me viendra par suite des impressions d’autrui. Vous même, vous seriez ici, que je ne vous montrerais rien. J’ai trop peur d’avoir peur.

J’ai ajouté une fin au drame, fin bien plus grandiose et plus concluante que celle dont je m’étais contenté jusqu’à présent. Le spectateur verra ainsi la tâche d’Énée accomplie, et Clio s’écrie à la dernière scène, pendant que le Capitole romain rayonne à l’horizon :

Fuit Troja !… Stat Roma !

Il y a là, en outre, une grande pompe musicale, dont il serait trop long de vous expliquer le sujet.

Voyez avec quelle naïveté je me laisse aller à vous parler de tout cela. Voilà ce que c’est que de m’écrire des lettres comme celle que je viens de recevoir de vous. Il ne faut pas porter une vive lumière aux yeux d’un homme enrhumé, si l’on ne veut pas le faire éternuer pendant une demi-heure.

Mais voilà mes éternuements finis. Adieu ; écrivez-moi souvent, je m’engage à vous répondre en style de notaire et fort laconiquement. Je ne suis pas féroce…