Page:Berlioz - Le Retour à la Vie, 1832.djvu/13

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sans âme, qui pillaient tes trésors en te dénigrant, on t’accuse de barbarie… L’auteur de Roméo et de Coriolan, le créateur de caractères tels que ceux de Desdémone, d’Ophélie, de Juliette et de Cordelia, le père du délicieux Ariel, un barbare !…

Le même sort était réservé à Beethoven. Avant qu’un sublime orchestre eût révélé aux Français ses prodigieuses symphonies, et, de sa main puissante, forcé les fronts les plus rebelles à se courber devant la statue du grand homme, que n’avait-on pas dit ? Que de cris ! que d’injures ! Aujourd’hui même, connait-on le nombre étonnant des magnifiques compositions qu’il jeta, pour ainsi dire, au vent, en les écrivant pour le piano ? Élans spontanés d’une âme brûlante, profondes et sublimes méditations, où le génie de l’auteur semble, en planant dans les cieux, conserver encore des souffrances de la terre un mélancolique souvenir…, inappréciés, presque inconnus… La plupart des exécutans ne peuvent les rendre, et ceux qui le pourraient ne le veulent pas. « Il faut des succès dans le monde, disent-ils, et Beethoven ennuierait. » Oui, des êtres dépourvus de sensibilité et d’imagination, à la tête prosaïque, au cœur sec et froid… Malheureusement, ils abondent dans l’empire de la mode, et veulent encore s’établir juges de ce qui ne fut jamais fait pour eux.

Mais les plus cruels ennemis du génie sont ces habitans du temple de la routine, prêtres fanatiques, qui immoleraient à leur stupide déesse une hécatombe d’idées neuves, s’il leur était donné d’en découvrir jamais. Ces modérés, qui veulent tout concilier, et pensent raisonner