Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/107

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et de cordières, mais personne n’y file des sons. Les seules chansons qui s’y élèvent par-ci par-là, de sept à huit heures du matin, sont celles des jeunes filles occupées à tisser des seines et des éperviers, encore ces innocentes enfants n’ont-elles qu’un filet de voix. Il n’y a pas de garde nationale, partant, pas de musique de la loterie ; on y entend retentir pour tout bruit les coups de maillet des calfats qui réparent des coques de navires. Il y a un cabinet de lecture derrière les vitres duquel ne figurent ni romances ni polkas avec portraits et lithographies. On ne court les risques d’aucun quatuor d’amateurs, d’aucune souscription pour arracher un virtuose au malheur de servir utilement sa patrie. Les hommes, dans ce pays-là, ont tous passé l’âge de la conscription, et aucun des enfants ne l’a encore atteint.

Enfin c’est un Eldorado pour les critiques, une île de Taïti en terre ferme, entourée d’eau d’un seul côté ; moins les ravissantes Taïtiennes, il est vrai, mais aussi moins les ministres protestants, les cantiques nazillards, la grosse reine Pomaré qui enfle dans sa case, et le journal français ; car on imprime un journal en langue française à Taïti, ce qu’on se garde bien de faire à Saint-Valery. Ainsi informé et rassuré, je descends de l’omnibus (il faut dire encore que le conducteur de cet omnibus, chargé d’amener les honnêtes gens de Motteville à Saint-Valery, ne joue ni de la trompette, comme ses confrères de Marseille, ni de cette affreuse petite corne dont se servent les Belges sur les chemins de fer