parce qu’il ne voulait pas subir l’influence du bon ou du mauvais style de l’auteur. Cette incorruptibilité parfaite l’obligeait à composer des récits incroyables des pièces qu’il n’avait ni vues ni lues, et lui faisait émettre de très-piquantes opinions sur la musique qu’il n’avait pas entendue.
J’ai regretté bien souvent de n’être pas de force à
mettre en pratique une si belle théorie, car le lecteur
dédaigneux qui, après un coup d’œil jeté sur les premières
lignes d’un feuilleton, laisse tomber le journal et
songe à toute autre chose, ne peut se figurer la peine
qu’on éprouve à entendre un si grand nombre d’opéras
nouveaux, et le plaisir que ressentirait à ne les point
voir l’écrivain chargé d’en rendre compte. Il y aurait
en outre pour lui, en critiquant ce qu’il ne connaît
pas, une chance d’être original ; il pourrait même
sans s’en douter, et par conséquent sans partialité, être
utile aux auteurs en produisant quelque invention capable
d’inspirer aux lecteurs le désir de voir l’œuvre
nouvelle. Tandis qu’en usant, comme on le fait généralement,
du vieux moyen, en écoutant, en étudiant de son
mieux les pièces dont on doit entretenir le public, on
est forcé de dire à peu près toujours la même chose,
puisque au fond il s’agit à peu près toujours de la même
chose ; et l’on fait ainsi, sans le vouloir, un tort considérable
à beaucoup de nouveaux ouvrages ; car le
moyen que le public aille les voir, quand on lui a dit
réellement et clairement ce qu’ils sont !