Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/258

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aux premières représentations, mais ce n’est point l’indice de son empressement à connaître l’œuvre, qui l’intéresse fort médiocrement ; il s’agit d’être vu dans la salle ce soir-là et de pouvoir dire : J’y étais, en ajoutant quelque opinion superficielle sur la nature de l’ouvrage nouveau et une appréciation telle quelle de sa valeur ; voilà tout. Aujourd’hui un compositeur qui aurait écrit un premier acte admirable peut être certain de le voir exécuté devant une salle aux trois quarts vide, et d’obtenir seulement le suffrage de MM. les claqueurs, qui sont à leur poste longtemps avant le lever du rideau. On donne à peine maintenant un grand opéra tous les deux ans ; le public fashionable aurait donc à déroger à ses habitudes une fois en deux ans pour entendre dans son entier, à sa première représentation, une production de cette importance ; mais cet effort est trop grand et la plus miraculeuse inspiration d’un grand musicien ne ferait pas ce monde, qui passe pour beau et poli, avancer seulement d’un quart d’heure… le dîner de ses chevaux.

Il est vrai que les auteurs ont le droit de se consoler de cette discourtoise indifférence par une indifférence plus grande encore, et de dire : « Qu’importe l’absence des locataires des stalles d’amphithéâtre et des premières loges ? le suffrage d’amateurs de cette force n’a pour nous aucune valeur. »

Il en est de même presque partout. Combien de fois n’avons-nous pas vu les gens naïfs s’indigner au Théâtre-Italien, quand on y représentait le Don Gio-