Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/26

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nent pas le sens ; qui se passionnent de sang-froid pour d’anciens maîtres dont ils n’ont jamais entendu une note ; qui leur attribuent généreusement des idées mélodiques et expressives que ces maîtres n’ont jamais eues, puisque la mélodie et l’expression n’existaient pas à l’époque où ils vécurent ; qui admirent en bloc, et avec la même effusion de cœur, deux morceaux signés du même nom, dont l’un est beau en effet, quand l’autre est absurde ; qui disent et écrivent enfin ces étonnantes bouffonneries que pas un musicien ne peut entendre citer sans rire. C’est convenu, chacun a le droit de parler et d’écrire sur la musique ; c’est un art banal et fait pour tout le monde ; la phrase est consacrée. Pourtant, entre nous, cet aphorisme pourrait bien être l’expression d’un préjugé. Si l’art musical est à la fois un art et une science ; si, pour le posséder à fond, il faut des études complexes et assez longues ; si, pour ressentir les émotions qu’il procure, il faut avoir l’esprit cultivé et le sens de l’ouïe exercé ; si, pour juger de la valeur des œuvres musicales, il faut posséder en outre une mémoire meublée, afin de pouvoir établir des comparaisons, connaître enfin beaucoup de choses qu’on ignore nécessairement quand on ne les a pas apprises ; il est bien évident que les gens qui s’attribuent le droit de divaguer à propos de musique sans la savoir, et qui se garderaient pourtant d’émettre leur opinion sur l’architecture, sur la statuaire, ou tout autre art à eux étranger, sont dans le cas de monomanie. Ils se croient musiciens, comme les autres mo-