Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/114

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pensée d’aller donner des leçons à Londres, où l’on est, dit-on, assez médiocrement avancé ; mais, je vous le répète, mes enfants étant à l’Opéra…, et puis la grandeur du théâtre ouvert à mon ambition… — Excusez mon peu de sagacité, madame, et veuillez enfin me dire quel est votre genre de talent. — Monsieur, je suis une artiste qui fit gagner à M. Vatel plus d’argent que Rubini lui-même, et je me flatte d’amener aussi sur les recettes de l’Opéra une réaction des plus favorables, si mes deux filles, qui déjà s’y sont fait remarquer, profitent bien de mes exemples. Je suis, monsieur, jeteuse de fleurs. — Ah ! très-bien ! vous êtes dans l’Enthousiasme ? — Précisément. Cette branche de l’art musical commence à peine à fleurir. Autrefois, c’étaient les dames du beau monde qui s’en occupaient, et cela gratuitement ou à peu près. Vous pouvez vous rappeler les concerts de M. Liszt et les débuts de M. Duprez. Quelles volées de bouquets ! quels applaudissements ! On voyait des jeunes personnes et même des femmes mariées s’enthousiasmer sans pudeur ; plusieurs d’entre elles se sont gravement compromises plus d’une fois. Mais quel tumulte ! quel désordre ! que de belles fleurs perdues ! Cela faisait pitié ! Aujourd’hui, le public ne se mêlant plus de rien, grâce au ciel et aux artistes, nous avons réglé les ovations d’après mon système, et c’est tout différent. Sous la dernière direction de l’Opéra, notre art faillit se perdre ou tout au moins rétrograder. On confiait la partie de l’Enthousiasme à quatre jeunes danseuses inexpérimentées, et, de plus, connues personnellement de tous les abonnés ; ces enfants, novices comme on l’est à cet âge, se plaçaient constamment dans la salle aux mêmes endroits, et jetaient toujours au même instant les mêmes bouquets à la même cantatrice ; si bien qu’on finit par tourner en dérision l’éloquence de leurs fleurs. Mes filles, d’après mes leçons, ont réformé cela, et maintenant l’administration a lieu, je pense, d’être entièrement satisfaite. — Monsieur votre fils est-il aussi dans les fleurs ? — Oh ! pour mon fils, il excite l’enthousiasme d’une autre façon : il a une voix superbe. — Alors, pourquoi son nom m’est-il encore inconnu ? — Il n’est jamais sur l’affiche. — Il chante