Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/137

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prochain : je dois donc me ménager. D’ailleurs, je suis enroué, et ce n’est que par excès de zèle que j’ai paru aujourd’hui à la répétition. Hum ! hum ! » Tout le monde part. Les huit ou dix autres séances ressemblent plus ou moins aux deux premières. Un mois se passe ainsi, après lequel on parvient à répéter à peu près sérieusement pendant une heure, trois fois par semaine ; cela fait rigoureusement douze heures d’études par mois. Le directeur met toujours le plus grand soin à stimuler les artistes par son absence ; et si un petit opéra en un acte, annoncé pour le 1er mai, peut enfin être représenté à la fin d’août, il n’aura pas tort de dire en se rengorgeant : « Oh ! mon Dieu ! c’est une bluette ; nous avons monté cela en quarante-huit heures ! »

Parlez-moi des directeurs de Londres pour employer le temps ; c’est par les Anglais que l’art des études musicales accélérées a été porté à un degré de splendeur inconnu chez les autres peuples. Je ne puis faire d’éloge plus pompeux de la méthode qu’ils suivent qu’en la désignant comme l’inverse de celle adoptée à Paris. D’un côté de la Manche, pour apprendre et mettre en scène un opéra en cinq actes, il faut dix mois : de l’autre, il faut dix jours. A Londres, l’important pour le directeur d’un théâtre lyrique, c’est l’affiche. L’a-t-il couverte de noms célèbres, a-t-il annoncé des œuvres célèbres, ou déclaré célèbres des œuvres obscures de compositeurs célèbres, en appuyant de toutes les forces de la presse sur cette épithète…, le tour est fait. Mais, comme le public est insatiable de nouveautés, comme c’est la curiosité surtout qui le guide, il est nécessaire au joueur qui veut le gagner de battre les cartes très-souvent. Dès lors, il faut faire vite plutôt que bien, extraordinairement vite, dût-on pousser la célérité jusqu’à l’absurde. Le directeur sait que l’auditoire ne remarquera pas les défauts de l’exécution, s’ils sont adroitement déguisés ; qu’il ne s’avisera jamais de découvrir les ravages produits dans une partition nouvelle par le défaut d’ensemble et l’incertitude des masses, par leur froideur, par les nuances manquées, les mouvements faux, les traits écorchés, les idées comprises à contre-sens. Il compte assez sur