Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/139

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et fondrières, renverse tout ce qu’il rencontre, et marcherait sur les corps de son père et de ses enfants s’ils lui faisaient obstacle.

Ce sont, je le reconnais, de tristes nécessités de position ; mais ce qui est plus déplorable, c’est que cette précipitation brutale des théâtres anglais dans les préparatifs de toute exécution musicale, devienne une habitude, et soit transformée elle-même par quelques personnes en talent spécial digne d’admiration. « Nous avons monté cet opéra en quinze jours, dit-on d’une part. — Et nous en dix ! réplique-t-on de l’autre. — Et vous avez fait de belle besogne ! » dirait l’auteur, s’il était présent. Les exemples qu’on cite de certains succès de cette nature font, en outre, qu’on ne doute plus de rien, et que le dédain de toutes les qualités de l’exécution, qui seules peuvent la constituer bonne, le mépris même des nécessités de l’art, vont croissant. Pendant la courte existence du Grand-Opéra anglais à Drury-Lane, en 1848, le directeur, dont le répertoire se trouvait à sec, ne sachant à quel saint se vouer, dit un jour à son chef d’orchestre très-sérieusement : « Un seul parti me reste à prendre, c’est de donner Robert le Diable mercredi prochain. Nous devrons ainsi le monter en six jours ! — Parfait ! lui répondit-on, et nous nous reposerons le septième. Vous avez la traduction anglaise de cet opéra ? — Non, mais elle sera faite en un tour de main. — La copie ? — Non, mais… — Les costumes ? — Pas davantage. — Les acteurs savent la musique de leurs rôles ? les chœurs possèdent bien la leur ? — Non ! non ! non ! on ne sait rien, je n’ai rien, mais il le faut ! » Et le chef d’orchestre garda son sérieux ; il vit que le pauvre homme perdait la tête, on plutôt qu’il l’avait perdue : au moins, s’il n’eût perdu que cela ! Une autre fois, l’idée étant venue à ce même directeur de mettre en scène Linda di Chamouni de Donizetti, dont il avait pourtant songé à se procurer la traduction, les acteurs et les chœurs ayant eu, par extraordinaire, le temps de faire les études nécessaires, on annonça une répétition générale. L’orchestre étant réuni, les acteurs et les choristes à leurs postes, on attendait. — Eh bien, pourquoi ne commencez-vous pas ? dit le