Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/154

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bien plus de sonorité et tourmente horriblement le malheureux souffleur. Il y en a même un qui est mort des suites de ce supplice. — Vous plaisantez ! — Non pas. Habeneck, il y a quelque vingt ans, ayant remarqué que les gens de la scène prêtaient peu d’attention à ses mouvements, ne les regardaient même presque jamais, et, par suite, manquaient fort souvent leurs entrées, imagina, faute de pouvoir parler à leurs yeux, d’avertir leur oreille en frappant, avec le bout de l’archet dont il se servait pour conduire, ce petit coup de bois sur bois : Tack ! qui se distingue au milieu de toutes les rumeurs plus ou moins harmonieuses des autres instruments. Ce temps précédant le temps du début de la phrase, est devenu maintenant le plus impérieux besoin de tous les exécutants du théâtre. C’est lui qui avertit chacun de commencer, qui indique même les principaux effets qu’il s’agit de produire, et jusqu’aux nuances de l’exécution. S’agit-il des soprani, tack ! à vous, mesdames ! Les ténors ont-ils à reprendre le même thème deux mesures après, tack ! à vous messieurs ! Les enfants, rangés sur le milieu de la scène, ont-ils à entonner un hymne, tack ! allons, enfants ! Faut-il demander à un chanteur ou à une cantatrice de la chaleur, tack ! de la sensibilité, tack ! de la rêverie, tack ! de l’esprit, tack ! de la précision, de la verve, tack ! tack ! Le premier danseur n’oserait prendre son vol pour un écho sans le tack ! La première danseuse ne se sentirait ni jarret, ni ballon, son sourire aurait l’air d’une grimace sans le tack. Tout le monde attend ce joli petit signal ; sans lui, rien ne pourrait aujourd’hui se mouvoir ni se faire entendre sur la scène ; chanteurs et danseurs y resteraient silencieux et immobiles, comme la cour de la Belle au bois dormant. Or, ceci est fort désagréable à l’auditoire et peu digne d’un établissement qui aspire à un rang élevé parmi les institutions musicales et chorégraphiques de l’Europe. Ceci, en outre, a causé la mort d’un excellent homme ; en conséquence on n’en démordra point.