Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/171

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Toi que je laisse sur la terre, Mortel que je n’ose nommer.

Chantée par toi, cette belle inspiration doit être d’un sublime inouï. Je ne sais comment je ne te l’ai pas encore demandée. Chante, chante-moi Spontini ; que j’obtienne tous les bonheurs ensemble !

— Quoi ! c’est cela que vous voulez ? répliqua madame N***, en faisant une petite moue qu’elle croyait charmante ; cette grande lamentation monotone vous plaît ?… Oh Dieu ! que c’est ennuyeux ! quelle psalmodie ! Pourtant, si vous y tenez… »

La froide lame d’un poignard en entrant dans le cœur d’Adolphe ne l’eût pas déchiré plus cruellement que ces paroles. Se levant en sursaut comme un homme qui découvre un animal immonde dans l’herbe sur laquelle il s’était assis, il fixa d’abord sur Hortense des yeux pleins d’un feu sombre et menaçant ; puis, se promenant avec agitation dans l’appartement, les poings fermés, les dents serrées convulsivement, il sembla se consulter sur la manière dont il allait répondre et entamer la rupture ; car pardonner un pareil mot était chose impossible. L’admiration et l’amour avaient fui ; l’ange devenait une femme vulgaire ; l’artiste supérieure retombait au niveau des amateurs ignorants et superficiels, qui veulent que l’art les amuse et n’ont jamais soupçonné qu’il eût une plus noble mission ; Hortense n’était plus qu’une forme gracieuse sans intelligence et sans âme ; la musicienne avait des doigts agiles et un larynx sonore… rien de plus.

Toutefois, malgré la torture affreuse qu’Adolphe ressentait d’une pareille découverte, malgré l’horreur d’un si brusque désenchantement, il n’est pas probable qu’il eût manqué d’égards et de ménagements, en rompant avec une femme dont le seul crime, après tout, était de n’avoir qu’une organisation inférieure à la sienne, d’aimer le joli sans comprendre le beau. Mais incapable, comme l’était Hortense, de croire à la violence de l’orage qu’elle venait de soulever, la contraction subite de tous les traits d’Adolphe, sa promenade agitée dans le salon,