Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/188

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de notes, capables de comprendre et de sentir les grandes choses de l’art musical, comme MM. les portiers, leurs pères, l’étaient de juger de littérature et de philosophie, se liguaient pour faire tomber la Vestale. Le système des sifflets ne fut pas admis. Celui des bâillements et des rires ayant été adopté, chacun de ces mirmidons devait, à la fin du second acte, se coiffer d’un bonnet de nuit et faire mine de s’endormir.

Je tiens ce détail du chef même de la bande des dormeurs. Il s’était adjoint, pour la direction du sommeil, un jeune chanteur de romances, devenu plus tard l’un de nos plus célèbres compositeurs d’opéras comiques. Toutefois le premier acte s’exécuta sans encombre, et les cabaleurs, ne pouvant méconnaître l’effet de cette belle musique, si mal écrite, à les en croire, se contentaient de dire avec un étonnement naïf qui n’avait plus rien d’hostile : « Cela va ! » Boïeldieu, assistant vingt-deux ans après à la répétition générale de la symphonie en ut mineur de Beethoven, disait aussi avec le même sentiment de surprise : « Cela va ! » Le scherzo lui avait paru si bizarrement écrit, qu’à son avis cela ne devait pas aller ! Hélas ! il y a bien d’autres choses qui sont allées, qui vont et qui iront, malgré les professeurs de contre-point et les auteurs d’opéras comiques.

Quand vint le second acte de la Vestale, l’intérêt toujours croissant de la scène du temple ne permit pas aux conspirateurs de songer un instant à l’exécution de la misérable farce qu’ils avaient préparée, et le finale leur arracha, tout comme au public impartial, de chaleureux applaudissements dont ils eurent sans doute à faire amende honorable le lendemain, en continuant, dans leurs classes, à vilipender cet ignorant Italien, qui avait su pourtant les émouvoir si vivement. Le temps est un grand maître ! Cet adage n’est pas neuf ; mais la révolution qui s’est faite en douze ou quinze ans dans les idées de notre Conservatoire est une preuve frappante de sa vérité. Il n’y a plus guère aujourd’hui dans cet établissement de préjugés ni de parti pris hostiles aux choses nouvelles ; l’esprit de l’école est excellent. Je crois que la Société des concerts, en familiarisant les jeunes musiciens avec une foule de