Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/197

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de lui ! » Le pronostic ne fut pas trompeur ; ce rôle fut en effet l’un des meilleurs créés par Dérivis, et même le seul sans doute qui pût permettre à l’inflexibilité de sa rude voix de se montrer sans désavantage.

Cette partition est d’un style, selon moi, tout à fait différent de celui qu’avaient adopté en France les compositeurs de cette époque. Ni Méhul, ni Cherubini, ni Berton, ni Lesueur, n’écrivirent ainsi. On a dit que Spontini procédait de Gluck. Sous le rapport de l’inspiration dramatique, de l’art de dessiner un caractère, de la fidélité et de la véhémence de l’expression, cela est vrai. Mais quant au style mélodique et harmonique, quant à l’instrumentation, quant au coloris musical, il ne procède que de lui-même. Sa musique a une physionomie particulière qu’on ne saurait méconnaître ; quelques négligences harmoniques (très-rares) ont servi de prétexte à mille ridicules reproches d’incorrection, fulminés autrefois contre elle par les conservatoriens, reproches attirés bien plus encore par des harmonies neuves et belles que le grand maître avait trouvées et appliquées avec bonheur, avant que les magister du temps eussent songé qu’elles existaient ou trouvé la raison de leur existence. C’était là son grand crime. Y songeait-il en effet ? employer des accords et des modulations que l’usage n’avait pas encore vulgarisés, et avant que les docteurs eussent décidé s’il était permis d’en faire usage !… Il y avait aussi, il faut bien le dire, un autre motif à cette levée de boucliers du Conservatoire. Si l’on en excepte Lesueur, dont l’opéra des Bardes eut un grand nombre de représentations brillantes, aucun des compositeurs de l’époque n’avait pu réussir à l’Opéra. La Jérusalem de Persuis et son Triomphe de Trajan obtinrent de ces succès passagers qui ne comptent point dans l’histoire de l’art, et qu’on put, d’ailleurs, attribuer à la pompe de la mise en scène et à des allusions que les circonstances politiques permettaient d’établir alors, entre les héros de ces drames et le héros du drame immense qui faisait palpiter le monde entier. Le grand répertoire de l’Opéra fut donc pendant une longue suite d’années soutenu presque exclusivement par les deux opéras de Spontini (la Vestale et Fernand Cortez)