Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/228

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La terreur inspirée par le fléau fut impuissante néanmoins à contenir l’élan de curiosité d’abord, et d’enthousiasme ensuite, qui entraînait la foule sur les pas de Paganini ; on a peine à croire à une pareille émotion causée par un virtuose en pareille circonstance, mais le fait est réel. Paganini, en frappant l’imagination et le cœur des Parisiens d’une façon si violente et si nouvelle, leur avait fait oublier jusqu’à la mort qui planait sur eux. Tout concourait, d’ailleurs, à accroître son prestige : son extérieur étrange et fascinateur, le mystère dont s’entourait sa vie, les contes répandus à son sujet, les crimes même dont ses ennemis avaient eu la stupide audace de l’accuser, et les miracles d’un talent qui renversait toutes les idées admises, dédaignait tous les procédés connus, annonçait l’impossible et le réalisait. Cette irrésistible influence de Paganini ne s’exerçait pas seulement sur le peuple des amateurs et des artistes ; des princes de l’art eux-mêmes y ont été soumis. On dit que Rossini, ce grand railleur de l’enthousiasme, avait pour lui une sorte de passion mêlée de crainte. Meyerbeer, pendant les pérégrinations de Paganini dans le nord de l’Europe, le suivit pas à pas, toujours plus avide de l’entendre, et cherchant inutilement à pénétrer le mystère de son talent phénoménal.

Je ne connais malheureusement que par les récits qu’on m’en a fait cette puissance musicale démesurée de Paganini ; un concours total de circonstances a voulu qu’il ne se soit jamais produit en public en France quand je m’y trouvais, et j’ai le chagrin d’avouer que, malgré les relations fréquentes que j’ai eu le bonheur d’entretenir avec lui pendant les dernières années de sa vie, je ne l’ai jamais entendu. Une seule fois, depuis mon retour d’Italie, il joua à l’Opéra, et, retenu au lit par une indisposition violente, il me fut impossible d’assister à ce concert, le dernier, si je ne me trompe, de tous ceux qu’il a donnés. Depuis ce jour, l’affection du larynx de laquelle il devait mourir, jointe à une maladie nerveuse qui me lui laissait aucun relâche, devenant de plus en plus grave, il dut renoncer tout à fait à l’exercice de son art. Mais comme il aimait passionnément la musique, comme elle était pour lui un véritable besoin, quelquefois, dans les rares instants de répit que lui laissaient ses