Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

question. J’ai entendu tout à l’heure un gros monsieur qui portait un melon en dire beaucoup de bien, et vous ?… — Je n’ai garde de dire du mal des melons ni des amateurs d’opéras-comiques, et vous ?..... » Pas de réponse, on a tourné l’angle d’un champ de groseilliers, vous avez pris d’un côté, l’ami est resté à l’autre, il mange des groseilles et ne songe plus à son ami. Et vous, songez-vous à lui ? pas davantage.

Véritable amitié, sœur de la fraternité républicaine ! Tout ravi de la liberté qu’elle vous laisse, vous traversez à pied la plaine d’Enghien ; il fait silence. Une brise timide voudrait s’élever, mais elle n’ose, et le soleil dore à loisir les moissons immobiles. Deux cloches fêlées envoient du haut de la colline voisine leurs notes discordantes : c’est l’annonce des vêpres à l’église de Montmorency. Les cloches se taisent, le silence redouble. On s’arrête… on écoute… on regarde au loin… à l’ouest… ou pense à l’Amérique, aux mondes nouveaux qui y surgissent, aux solitudes vierges, aux civilisations disparues, aux grandeurs et à la décadence de la vie sauvage. A l’est… les souvenirs de l’Asie viennent vous assaillir ; on songe à Homère, à ses héros, à Troie, à la Grèce, à l’Égypte, à Memphis, aux Pyramides, à la cour des Pharaons, aux grands temples d’Isis, à l’Inde mystérieuse, à ses tristes habitants, à la Chine caduque, à tous ces vieux peuples fous ou tout au moins monomanes. On s’applaudit de n’adorer ni Brama ni Vichenou et d’aller tranquillement, en bon chrétien, à vêpres à Montmorency. Une folâtre fauvette s’élance tout à coup d’un buisson, monte perpendiculairement en lançant au ciel sa chanson joyeuse, trace en l’air vingt zigzags capricieux, saisit un moucheron et l’emporte, en remerciant Dieu, dont la bonté, dit-elle, s’étend sur toute la nature, puisqu’il ne dédaigne pas de donner la pâture aux petits des oiseaux. Reconnaissance naïve que le moucheron très-probablement ne partage pas. Ceci donne beaucoup à réfléchir ; on réfléchit donc ! Passent deux jeunes Parisiennes simplement vêtues de blanc, avec cette grâce savante que possèdent les Parisiennes seulement. Quatre petits pieds bien chaussés, bien cambrés, bien tout.... quatre grands yeux veloutés, bien sourcillés…