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première soirée.

est bien belle, et pour elle on peut être tenté de mourir ; — mais l’art est encore plus beau, n’oublie jamais que, malgré tout, il faut vivre pour lui.

Ton ami,
Benvenuto Cellini.


Paris, 10 juin 1557.


benvenuto cellini à alfonso della viola.


Misérable ! baladin ! saltimbanque ! cuistre ! castrat ! joueur de flûte[1]. C’était bien la peine de jeter tant de cris, de souffler tant de flammes, de tant parler d’offense et de vengeance, de rage et d’outrage, d’invoquer l’enfer et le ciel, pour arriver enfin à une aussi vulgaire conclusion ! Âme basse et sans ressort ! fallait-il proférer de telles menaces puisque ton ressentiment était de si frêle nature, que, deux ans à peine après avoir reçu l’insulte à la face, tu devais t’agenouiller lâchement pour baiser la main qui te l’infligea.

Quoi ! ni la parole que tu m’avais donnée, ni les regards de l’Europe aujourd’hui fixés sur toi, ni ta dignité d’homme et d’artiste, n’ont pu te garantir des séductions de cette cour, où règnent l’intrigue, l’avarice et la mauvaise foi ; de cette cour où tu fus honni, méprisé, et qui te chassa comme un valet infidèle ! Il est donc vrai ! tu composes pour le grand-duc ! Il s’agit même, dit-on, d’une œuvre plus vaste et plus hardie encore que celles que tu as produites jusqu’ici. L’Italie musicale tout entière doit prendre part à la fête. On dispose les jardins du palais Pitti ; cinq cents virtuoses habiles, réunis sous ta direction dans un vaste et beau pavillon décoré par Michel-Ange, verseront à flots la splendide harmonie sur un peuple haletant, éperdu, enthousiasmé. C’est admirable ! Et tout cela pour le grand-duc, pour Florence, pour cet homme

  1. On sait que Cellini professait une singulière aversion pour cet instrument.