Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/353

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depuis quelques années, maladie dont vous connaissez tous les symptômes, n’a pas pour cause, dans la plupart des cas, l’amour de la gloire, l’émulation, l’orgueil, mais le plat amour du lucre, l’avarice, ou la passion du luxe, l’insatiabilité des jouissances matérielles. On recherche des applaudissements et des éloges hyperboliques, parce que seuls ils ébranlent encore la foule incertaine et la dirigent de tel ou tel côté. Et l’on appelle la foule, parce que seule elle apporte l’argent. Dans ce monde-là, on ne veut pas, comme nous le voudrions, l’argent pour la musique, mais par la musique et malgré elle. De là, le goût du clinquant, du boursouflé, de la sonorité avant tout, le mépris des premières qualités du style, les affreux outrages faits à l’expression, au bon sens et à la langue, la destruction du rhythme, l’introduction dans le chant de toutes les plus révoltantes stupidités, et l’erreur du gros public, qui croit naïvement aujourd’hui qu’elles sont des conditions essentielles de la musique dramatique qu’il confond avec la musique théâtrale. L’enseignement lui-même est dirigé en ce sens. Vous ne vous doutez pas de ce que certains maîtres apprennent à leurs élèves ; et, sauf de très-rares exceptions, on peut dire maintenant : Un maître de chant est un homme, un peu plus bête qu’un autre homme, qui enseigne l’art de tuer la bonne musique et de donner à la mauvaise une apparence de vie.

Quant aux auteurs, poëtes ou musiciens, écrivant pour le théâtre, ce n’est pas de notre temps qu’on en trouverait beaucoup (on en trouve pourtant, je le reconnais) de pénétrés d’un vrai respect pour l’art. Combien d’entre eux sont capables de se borner à produire quelques ouvrages excellents, mais peu lucratifs, et de préférer cette production modérée et soignée à l’exploitation constante de leur esprit, si épuisé qu’il soit ? Exploitation comparable à celle d’une prairie qu’on fauche et refauche jusqu’aux racines, sans laisser à sa toison végétale le temps de repousser. Qu’on ait des idées, qu’on n’en ait pas, il faut écrire, écrire vite et beaucoup ; il faut accumuler des actes, pour accumuler des primes, pour accumuler des droits d’auteur, pour accumuler des capitaux, pour