Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/358

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toujours courant après le nécessaire, humilié par d’indignes protecteurs, et ne possédant à sa mort que 6,000 francs de dettes ; et tant d’autres. Mais si nous voulons regarder à côté du domaine musical, dans celui de la poésie, par exemple, nous verrons Shakspeare, las de la tiédeur de ses contemporains, se retirant à Straford dans la force de l’âge, sans vouloir plus entendre parler de poëmes, de drames ni de théâtre, et écrivant son épitaphe pour léguer sa malédiction à quiconque dérangera ses os ; nous trouverons Cervantès impotent et misérable ; Tasso mourant pauvre aussi et fou, autant d’orgueil blessé que d’amour, dans une prison ! Camoëns plus malheureux encore. Camoëns fut guerrier, voyageur aventureux, amant et poëte ; il fut intrépide et patient ; il eut l’inspiration, il eut le génie, ou plutôt il appartint au génie qui en fit sa proie, qui l’entraîna palpitant par le monde, qui lui donna la force de lutter contre vents, tempêtes, obscurité, ingratitude, proscriptions, et la pâle faim aux joues creuses ; flots amers qu’il fendit bravement de sa noble poitrine, en élevant sur eux d’un geste sublime son poëme immortel. Puis il mourut après avoir souffert longuement, et sans qu’un jour il ait pu se dire : « Mon pays me connaît et m’apprécie ; il sait quel homme je suis, il voit l’éclat de mon nom rejaillir sur le sien, il comprend mon œuvre et l’admire ; je suis heureux d’être venu, d’avoir vu et vaincu ; grâces soient rendues à la suprême puissance qui me donna la vie ! » Non, loin de là ; il vécut perdu dans la foule des souffrants, la gente dolorosa, toujours armé et combattant, versant à flots ses pensées, son sang et ses larmes ; indigné de son sort, indigné de voir les hommes si petits, indigné contre lui-même d’être si grand, agitant avec fureur la lourde chaîne des besoins matériels, servo ognor fremente. Et quand la mort vint le prendre, il dut aller au-devant d’elle avec ce triste sourire des esclaves résignés qui, sous les yeux de César, marchent à leur dernier combat.

Puis la gloire est venue…… la gloire !.... ô Falstaff !

Les grands musiciens ne sont donc pas les seuls à souffrir.