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les soirées de l’orchestre.

en donnai que deux, car au premier il tomba mort, » est touchant.

Winter. — Ce damné opéra ne finira pas ! (La première chanteuse pousse des cris déchirants.) Qui sait quelque chose d’amusant pour nous faire oublier les clameurs de cette créature ? — Moi, dit Turuth, la seconde flûte, je puis vous raconter un petit drame dont j’ai été témoin en Italie ; mais l’histoire n’est pas gaie. — Oh ! tu es sensible, on le sait ; le plus sensible des lauréats que l’Institut de France a envoyés à Rome depuis vingt ans, pour y désapprendre la musique, si toutefois ils l’ont jamais sue. — Eh bien ! si c’est le genre français, dit Dervinck, laisse-le nous attendrir. Va pour dix minutes de sensibilité. Mais tu nous assures que ton histoire est véritable ? — Aussi vraie qu’il est vrai que j’existe ! — Voyez-vous le puriste, qui ne veut pas dire comme tout le monde : aussi vraie que j’existe ! — Chut ! au fait ! au fait ! — M’y voilà !



VINCENZA,


NOUVELLE SENTIMENTALE.


Un de mes amis, G***, peintre de talent, avait inspiré un amour profond à une jeune paysanne d’Albano, nommée Vincenza, qui venait quelquefois à Rome offrir pour modèle sa tête virginale aux pinceaux de nos plus habiles dessinateurs. La grâce naïve de cette enfant des montagnes, et l’expression candide de ses traits, lui avaient valu une espèce de culte que lui rendaient les peintres, et que sa conduite décente et réservée justifiait d’ailleurs complétement.

Depuis le jour où G*** parut prendre plaisir à la voir, Vincenza ne quitta plus Rome ; Albano, son beau lac, ses sites ravissants, furent échangés contre une petite chambre sale et obscure qu’elle occupait dans le Transtevero, chez la femme d’un artisan dont elle soignait les enfants. Les prétextes ne lui manquaient jamais pour faire de fréquentes visites à l’atelier de son bello Francese. Un jour je l’y trouvai, G*** était gravement assis devant son chevalet, la brosse à la main ; Vincenza,