Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/396

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d’éminents services. Je n’en puis dire autant de mademoiselle Kratky ; elle a chanté cette douce élégie, Adélaïde, l’une des plus touchantes compositions de Beethoven, d’une manière commune, empâtée, et avec des intonations constamment trop basses. Et Liszt jouait la partie de piano !… Il faut avoir entendu ce morceau chanté par Rubini, qui en tenait les traditions de Beethoven lui-même, pour savoir tout ce qu’il renferme de douloureuse tendresse et de langueur passionnée !…

Après ces morceaux, LL. MM. s’étant retirées, on a voulu continuer l’exécution du programme. M. Ganz, premier violoncelle de l’Opéra de Berlin, a joué avec beaucoup de talent une fantaisie sur des thèmes de Don Juan. Le jeune Moëser ensuite, dont on se rappelle le succès au Conservatoire de Paris, il y a un an, est venu dire un concertino de sa composition sur des thèmes de Weber. Quelle que soit l’opinion qu’on puisse avoir de sa composition, il faut reconnaître qu’on n’a pas plus de sûreté dans l’intonation, plus de pureté de style, ni plus d’ardeur concentrée ; M. Moëser, en outre, fait avec autant de bonheur que d’aplomb la difficulté ; il est incontestablement à cette heure l’un des premiers violonistes de l’Europe. Son succès, qu’on ne pouvait prévoir, car il a joué le morceau tout entier au milieu du plus profond silence, sans un applaudissement, sans le moindre murmure approbateur, a éclaté subitement ; les bravos ne finissaient pas ; et le jeune virtuose en a été lui-même si surpris, que dans sa stupéfaction joyeuse il ne savait ni comment sortir de la scène, ni quelle contenance faire en y restant. Auguste Moëser est élève de Ch. de Bériot, qui doit être bien fier de lui. M. Franco-Mendès avait eu la malheureuse idée de tenir à son solo de violoncelle, malgré celui de Ganz qui l’avait précédé, et celle plus malencontreuse encore de choisir pour thèmes de sa fantaisie des airs de la Donna del Lago de Rossini ; il a donc été très-mal reçu. Et pourtant l’air O mattutini albori, est une bien fraîche et poétique inspiration, et M. Franco-Mendès joue délicieusement du violoncelle ; mais il est Hollandais et Rossini est Italien, de là double colère des fanatiques de la nationalité allemande. Ceci est misérable, il faut l’avouer.