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Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/41

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première soirée.

mon sommeil ; mais son anxiété l’emportant enfin, elle saisit ma guitare et me jeta trois accords qui me réveillèrent. En me retournant dans mon lit, je l’aperçus à mon chevet, mourante d’émotion. Dieu ! qu’elle était jolie ! ! ! L’espoir éclatait sur sa ravissante figure. Malgré la teinte cuivrée de sa peau, je la voyais rougir de passion ; tous ses membres frémissaient.

— Eh bien ! Vincenza, je crois qu’il vous recevra. Si la clef est à sa porte, c’est qu’il vous pardonne, et…

La pauvre fille m’interrompt par un cri de joie, se jette sur ma main, la baise avec transport en la couvrant de larmes, gémit, sanglote, et se précipite hors de ma chambre, en m’adressant pour remercîment un divin sourire qui m’illumina comme un rayon des cieux. Quelques heures après, je venais de m’habiller, G*** entre, et me dit d’un air grave :

— Tu avais raison, j’ai tout découvert ; mais pourquoi n’est-elle pas venue ? je l’attendais.

— Comment, pas venue ? Elle est sortie d’ici ce matin à demi folle de l’espoir que je lui donnais ; elle a dû être chez toi en deux minutes.

— Je ne l’ai pas vue ; et pourtant la clef était bien à ma porte.

— Malheur ! malheur ! ! j’ai oublié de lui dire que tu avais changé d’atelier. Elle sera montée au quatrième étage, ignorant que tu étais au premier.

— Courons.

Nous nous précipitons à l’étage supérieur, la porte de l’atelier était fermée ; dans le bois était fichée avec force la spada d’argent que Vincenza portait dans ses cheveux, et que G*** reconnut avec effroi : elle venait de lui. Nous courons au Transtevero, chez elle, au Tibre, à la promenade du Poussin ; nous demandons à tous les passants : personne ne l’avait vue. Enfin nous entendons des voix et des interpellations violentes… Nous arrivons au lieu de la scène… Deux bouviers se battaient pour le fazzoletto blanc de Vincenza, que la malheureuse Albanaise avait arraché de sa tête et jeté sur le rivage avant de se précipiter…