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Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/54

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les soirées de l’orchestre.

vait fait connaître leur nom et leur demeure. Quant aux amateurs de musique de profession, ils m’écoutaient avec intérêt ; à l’exception de deux ou trois, il était rare cependant que l’idée leur vînt de me donner la moindre chose. Ma collecte principale se faisait le soir dans les cafés, parmi les étudiants et les artistes ; et c’est ainsi, je crois vous l’avoir dit, que je fus témoin de la querelle excitée par une de vos compositions, et que le désir me vint d’aller entendre la Fée Mab. Quel drôle de morceau ! J’ai depuis lors beaucoup fréquenté les bourgs et les villages répandus sur la route que vous suivez, et fait de nombreuses visites à cette belle Prague. Ah ! monsieur, voilà une ville musicale.

— Vraiment ?

— Vous verrez. Mais cette vie errante fatigue à la longue ; je pense quelquefois à mes deux bonnes amies, je me figure que j’aurais bien du plaisir à pardonner à Agathe, dût Annette me tromper à son tour. D’ailleurs, je gagne à peine de quoi vivre ; ma harpe me ruine ; ces maudites cordes qu’il faut sans cesse remplacer… à la plus légère pluie, ou elles se rompent, ou il leur vient dans le milieu une grosseur qui en altère le timbre et les rend sourdes et discordantes. Vous n’avez pas l’idée de ce que cela me coûte.

— Ah ! cher confrère, ne vous plaignez pas trop. Si vous saviez, dans les grands théâtres lyriques, combien de cordes plus chères que les vôtres, puisqu’il y en a de 60,000 et même de 100,000 fr., s’altèrent et se détruisent chaque jour, au grand désespoir des maîtres et des directeurs !… Nous en avons d’une sonorité exquise et puissante qui périssent, comme les vôtres, par le plus léger accident. Un peu de chaleur, la moindre humidité, un rien, et l’on voit paraître la maudite grosseur dont vous parlez, qui en détruit la justesse et le charme ! Que de beaux ouvrages inexécutables alors ! que d’intérêts compromis ! Les directeurs éperdus prennent la poste, courant à Naples, ce pays des bonnes cordes, mais trop souvent en vain. Il faut bien du temps et beaucoup de bonheur pour arriver à remplacer une chanterelle de premier ordre !