Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/61

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leur est ouvert. Madame sera admise à chanter ses romances devant le chef de la Sublime Porte, devant le commandeur des croyants. C’est bien la peine d’être sultan pour se voir exposé à des accidents semblables ! On permet un concert à la cour ; quatre esclaves noirs apportent un piano ; l’esclave blanc, le mari, apporte le châle et la musique de la cantatrice. Le candide sultan, qui ne s’attend à rien de pareil à ce qu’il va entendre, se place sur une pile de coussins, entouré de ses principaux officiers, et ayant son premier drogman auprès de lui. On allume son narghilé, il lance un filet d’odorante vapeur, la cantatrice est à son poste ; elle commence cette romance de M. Panseron :

« Je le sais, vous m’avez trahie,
Une autre a mieux su vous charmer.
Pourtant, quand votre cœur m’oublie,
Moi, je veux toujours vous aimer

Oui, je conserverai sans cesse
L’amour que je vous ai voué ;
Et si jamais on vous délaisse,
Appelez-moi, je reviendrai. »

Ici le sultan fait un signe au drogman, et lui dit avec ce laconisme de la langue turque dont Molière nous a donné de si beaux exemples dans le Bourgeois gentilhomme : Naoum ! » Et l’interprète. « Monsieur, Sa Hautesse m’ordonne de vous dire que madame lui ferait plaisir de se taire tout de suite. — Mais… elle commence à peine… ce serait une mortification. »

Pendant ce dialogue, la malencontreuse cantatrice continue, en roulant les yeux, à glapir la romance de M. Panseron :

« Si jamais son amour vous quitte,
Faible, si vous la regrettez,
Dites un mot, un seul, et vite
Vous me verrez à vos côtés. »

Nouveau signe du sultan, qui, en caressant sa barbe, jette par-dessus son épaule ce mot au drogman : « Zieck ! » Le drogman au mari (la femme chante toujours la romance de