Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/73

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— Oui, monsieur.

— Pour son costume, vous allez prendre une tige de fer que vous lui planterez dans les vertèbres, de manière à ce qu’il se tienne aussi droit que M. Petipa, quand il médite une pirouette.

— Oui, monsieur.

— Ensuite, vous attacherez ensemble quatre bougies que vous placerez allumées dans sa main droite ; c’est un épicier, il connaît ça.

— Oui, monsieur.

— Mais, comme il a une assez mauvaise tête, voyez, toute écornée, nous allons la changer contre celle-ci.

— Oui, monsieur.

— Elle a appartenu à un savant, n’importe ! qui est mort de faim, n’importe encore ! Quant à l’autre, celle de l’épicier, qui est mort d’une indigestion, vous lui ferez, tout en haut, une petite entaille (soyez tranquille, il n’en sortira rien) propre à recevoir la pointe du sabre de Gaspard dans la scène de l’évocation.

— Oui, monsieur. »

Ainsi fut fait ; et depuis lors, à chaque représentation du Freyschutz, au moment où Samuel s’écrie : « Me voilà ! » la foudre éclate, un arbre s’abîme, et notre épicier, ennemi de la musique de Weber, apparaît aux rouges lueurs des feux du Bengale, agitant, plein d’enthousiasme, sa torche enflammée.

Qui pouvait deviner la vocation dramatique de ce gaillard-là ? Qui jamais eût pensé qu’il débuterait précisément dans cet ouvrage ? il a une meilleure tête et plus de bon sens à cette heure. Il ne siffle plus :

. . . . . . . Alas ! poor Yorick ! . . . . . . .

— — — —

— Eh bien, cela m’attriste, dit Corsino naïvement. Si épicier qu’il ait été, ce débutant était presque un homme, après tout. Je n’aime pas qu’on joue ainsi avec la mort. S’il siffla de