Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/78

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prient, et se livrent à de saintes méditations. Or, il faut vous avouer que j’ai l’habitude de faire tous les ans une retraite poétique. Je m’enferme alors chez moi : je lis Shakspeare ou Virgile ; quelquefois l’un et l’autre. Cela me rend un peu malade d’abord ; puis je dors des vingt heures de suite ; après quoi je me rétablis, et il ne me reste qu’une insurmontable tristesse, dont vous voyez le reste, et que vos gais propos ne tarderont pas à dissiper. Qu’a-t-on joué, chanté, dit et narré en mon absence ? Mettez-moi au courant. — On a joué Robert le Diable, I Puritani ; on n’a pas du tout chanté ; et nous n’avons eu à l’orchestre que des discussions. La dernière s’est élevée à propos d’un passage de la scène du jeu dans l’opéra de Meyerbeer. Corsino soutient que les chevaliers siciliens sont tous d’accord pour dévaliser Robert. Moi je prétends que l’intention de l’auteur du livret n’a pu être de leur donner un si honteux caractère, et que leur aparté :

Nous le tenons ! nous le tenons !

est une licence du traducteur. Nous vous attendions pour savoir quelles sont les paroles françaises chantées par le chœur dans le texte originel. — Ce sont les mêmes ; votre traducteur n’a point d’infidélité à se reprocher. — Ah ! j’en étais sûr, reprend Corsino, j’ai gagné mon pari. — Oui ; et ceci est encore un des bonheurs de M. Meyerbeer, le plus heureux des compositeurs de cette vallée de larmes. Car, il faut bien le reconnaître, il en est de ce qu’on est convenu d’appeler les jeux du théâtre comme des jeux de hasard ; les plus savantes combinaisons ne servent à rien pour y réussir ; on y gagne parce qu’on n’y perd pas, on y perd parce qu’on n’y gagne pas. Ces deux raisons sont les seules qu’on puisse donner de la perte ou du gain, du succès ou du revers. La chance, le bonheur, la veine, la fortune ! mots dont on se sert pour désigner la cause inconnue et qu’on ne connaîtra jamais. Mais cette chance, cette veine, cette Fortune ou non propice (ainsi que Bertram a la naïveté de l’appeler dans Robert le Diable) semble néanmoins s’attacher à certains joueurs, à certains auteurs, avec un acharnement incroyable. Tel compositeur, par exemple, a