Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/82

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c’est un monde lui-même. Bien plus, les dilettanti vont jusqu’à le diviniser, et il se prend si bien pour un Dieu, qu’il parle à tout instant de ses créations. Et tiens, vois dans cette brochure qui m’arrive de Paris, comment ce monde lumineux fait sa révolution autour du public. Toi qui étudies toujours le Cosmos de Humboldt, tu comprendras ce phénomène. — Lis-nous cela, petit Kleiner, disent la plupart des musiciens, si tu lis bien, nous te ferons apporter une bavaroise au lait. — Sérieusement ? — Sérieusement. — Je le veux bien.

RÉVOLUTION DU TÉNOR

AUTOUR DU PUBLIC

AVANT L’AURORE

Le ténor obscur est entre les mains d’un professeur habile, plein de science, de patience, de sentiment et de goût, qui fait de lui d’abord un lecteur consommé, un bon harmoniste, qui lui donne une méthode large et pure, l’initie aux beautés des chefs-d’œuvre de l’art, et le façonne enfin au grand style du chant. A peine a-t-il entrevu la puissance d’émotion dont il est doué, le ténor aspire au trône ; il veut, malgré son maître, débuter et régner : sa voix, cependant, n’est pas encore formée. Un théâtre de second ordre lui ouvre ses portes ; il débute, il est sifflé. Indigné de cet outrage, le ténor rompt à l’amiable son engagement, et, le cœur plein de mépris pour ses compatriotes, part au plus vite pour l’Italie.

Il trouve, pour y débuter, de terribles obstacles, qu’il renverse à la fin ; on l’accueille assez bien. Se voix se transforme, devient pleine, forte, mordante, propre à l’expression des passions vives autant qu’à celle des sentiments les plus doux ; le timbre de cette voix gagne peu à peu en pureté, en fraîcheur, en candeur délicieuse ; et ces qualités constituent