Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/124

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avec une bonne grâce dont je ne saurais trop les remercier, me prêtèrent une troisième fois leur concours gratuitement.

Ce fut la veille de ce jour que Liszt vint me voir. Nous ne nous connaissions pas encore. Je lui parlai du Faust de Gœthe, qu’il m’avoua n’avoir pas lu, et pour lequel il se passionna autant que moi bientôt après. Nous éprouvions une vive sympathie l’un pour l’autre, et depuis lors notre liaison n’a fait que se resserrer et se consolider.

Il assista à ce concert où il se fit remarquer de tout l’auditoire par ses applaudissements et ses enthousiastes démonstrations.

L’exécution ne fut pas irréprochable sans doute, ce n’était pas avec deux répétitions seulement qu’on pouvait en obtenir une parfaite pour des œuvres aussi compliquées. L’ensemble toutefois fut suffisant pour en laisser apercevoir les traits principaux. Trois morceaux de la symphonie, le Bal, la Marche au supplice et le Sabbat, firent une grande sensation. La Marche au supplice surtout bouleversa la salle. La Scène aux champs ne produisit aucun effet. Elle ressemblait peu, il est vrai, à ce qu’elle est aujourd’hui. Je pris aussitôt la résolution de la récrire, et F. Hiller, qui était alors à Paris, me donna à cet égard d’excellents conseils dont j’ai tâché de profiter.

La cantate fut bien rendue ; l’incendie s’alluma, l’écroulement eut lieu ; le succès fut très-grand. Quelques jours après, les aristarques de la presse se prononcèrent, les uns pour, les autres contre moi, avec passion. Mais les reproches que me faisait la critique hostile, au lieu de porter sur les défauts évidents des deux ouvrages entendus dans ce concert, défauts très-graves et que j’ai corrigés dans la symphonie, avec tout le soin dont je suis capable en retravaillant ma partition pendant plusieurs années, ces reproches, dis-je, tombaient presque tous à faux. Ils s’adressaient tantôt à des idées absurdes qu’on me supposait et que je n’eus jamais, tantôt à la rudesse de certaines modulations qui n’existaient pas, à l’inobservance systématique de certaines règles fondamentales de l’art que j’avais religieusement observées et à l’absence de certaines formes musicales qui étaient seules employées dans les passages où on en niait la présence. Au reste, je dois l’avouer, mes partisans m’ont aussi bien souvent attribué des intentions que je n’ai jamais eues, et parfaitement ridicules. Ce que la critique française a dépensé, depuis cette époque, à exalter ou à déchirer mes œuvres, de non sens, de folies, de systèmes extravagants, de sottise et d’aveuglement, passe toute croyance. Deux ou trois hommes seulement ont tout d’abord parlé de moi avec une sage et intelligente réserve. Mais les critiques clairvoyants, doués de savoir, de sensibilité, d’imagination et d’impartialité, capables de me juger sainement, de bien apprécier la portée de mes tentatives et la direction de mon esprit, ne sont pas aujourd’hui faciles à trouver. En tous cas ils n’existaient pas dans les premières