Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/166

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suppose, contribuent-elles à l’expression du sentiment religieux ? en quoi cette preuve de la patience du tisseur d’accords annonce-t-elle en lui une simple préoccupation du véritable objet de son travail ? en rien, à coup sûr. L’accent expressif d’une composition musicale n’est ni plus puissant, ni plus vrai, parce qu’elle est écrite en canon perpétuel, par exemple ; et il n’importe à la beauté et à la vérité de l’expression que le compositeur ait vaincu une difficulté étrangère à leur recherche ; pas plus que si, en écrivant, il eût été gêné d’une façon quelconque par une douleur physique ou un obstacle matériel.

Si Palestrina, ayant perdu les deux mains, s’était vu forcé d’écrire avec le pied et y était parvenu, ses ouvrages n’en eussent pas acquis plus de valeur pour cela et n’en seraient ni plus ni moins religieux.

Le critique allemand, dont je parlais tout à l’heure, n’hésite pas cependant à appeler sublimes les improperia de Palestrina.

«Toute cette cérémonie, dit-il encore, le sujet en lui-même, la présence du Pape au milieu du corps des cardinaux, le mérite d’exécution des chanteurs qui déclament avec une précision et une intelligence admirables, tout cela forme de ce spectacle un des plus imposants et des plus touchants de la semaine sainte.» — Oui, certes, mais tout cela ne fait pas de cette musique une œuvre de génie et d’inspiration.

Par une de ces journées sombres qui attristent la fin de l’année, et que rend encore plus mélancoliques le souffle glacé du vent du nord, écoutez, en lisant Ossian, la fantastique harmonie d’une harpe éolienne balancée au sommet d’un arbre dépouillé de verdure, et vous pourrez éprouver un sentiment profond de tristesse, un désir vague et infini d’une autre existence, un dégoût immense de celle-ci, en un mot une forte atteinte de spleen jointe à une tentation de suicide. Cet effet est encore plus prononcé que celui des harmonies vocales de la chapelle Sixtine ; on n’a jamais songé cependant à mettre les facteurs de harpes éoliennes au nombre des grands compositeurs.

Mais, au moins, le service musical de la chapelle Sixtine a-t-il conservé sa dignité et le caractère religieux qui lui convient, tandis que, infidèles aux anciennes traditions, les autres églises de Rome sont tombées, sous ce rapport, dans un état de dégradation, je dirai même de démoralisation, qui passe toute croyance. Plusieurs prêtres français, témoins de ce scandaleux abaissement de l’art religieux, en ont été indignés.

J’assistai, le jour de la fête du roi, à une messe solennelle à grands chœurs et à grand orchestre, pour laquelle notre ambassadeur, M. de Saint-Aulaire, avait demandé les meilleurs artistes de Rome. Un amphithéâtre assez vaste, élevé devant l’orgue, était occupé par une soixantaine d’exécutants. Ils commencèrent par s’accorder à grand bruit, comme ils l’eussent fait dans un foyer de théâtre ; le diapason de l’orgue, beaucoup trop bas, rendait, à cause des