Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/180

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même soir, après avoir dit adieu à Dufeu et à Dantan, le hasard me fit rencontrer deux officiers suédois de ma connaissance, qui me firent part de leur intention de se rendre à Rome à pied.

— Parbleu ! leur dis-je, je pars demain pour Subiaco ; je veux y aller en droite ligne à travers les montagnes, franchissant rocs et torrents, comme le chasseur de chamois ; nous devrions faire le trajet ensemble.

Malgré l’extravagance d’une pareille idée, ces messieurs l’adoptèrent. Nos effets furent aussitôt expédiés par un vetturino ; nous convînmes de nous diriger sur Subiaco à vol d’oiseau, et, après nous y être reposés un jour, de retourner à Rome par la grande route. Ainsi fut fait. Nous avions endossé tous les trois le costume obligé de toile grise ; M. B... portait son album et ses crayons ; deux cannes étaient toutes nos armes.

On vendangeait alors. D’excellents raisins (qui n’approchent pourtant pas de ceux du Vésuve) firent à peu près toute notre nourriture pendant la première journée ; les paysans n’acceptaient pas toujours notre argent, et nous nous abstenions quelquefois de nous enquérir des propriétaires.

Le soir, à Capoue, nous trouvâmes bon souper, bon gîte, et... un improvisateur.

Ce brave homme, après quelques préludes brillants sur sa grande mandoline, s’informa de quelle nation nous étions.

« — Français, répondit M. Kl... rn.»

J’avais entendu, un mois auparavant, les improvisations du Tyrtéc campanien ; il avait fait la même question à mes compagnons de voyage, qui répondirent :

« — Polonais.»

À quoi, plein d’enthousiasme, il avait répliqué :

« — J’ai parcouru le monde entier, l’Italie, l’Espagne, la France, l’Allemagne, l’Angleterre, la Pologne, la Russie ; mais les plus braves sont les Polonais, sont les Polonais.»

Voici la cantate qu’il adressa, en musique également improvisée, et sans la moindre hésitation, aux trois prétendus Français :

notation musicale