Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/291

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l’ouverture du Freyschütz d’indiquer le mouvement des quatre premières mesures, laissant ensuite l’orchestre marcher tout seul jusqu’aux points d’orgue de la fin. Les musiciens doivent être fiers, qui voient en pareille occasion leur chef se croiser ainsi les bras.

Croiriez-vous, mon cher Ernst, que pendant les trois semaines que j’ai passées dans cette ville si musicale, personne ne s’est avisé de me parler de la famille de Weber, ni de m’informer qu’elle était à Dresde ? J’eusse été si heureux de la connaître et de lui exprimer un peu de ma respectueuse admiration pour le grand compositeur qui illustra son nom !... J’ai su trop tard que j’avais manqué cette occasion précieuse et je dois au moins prier ici madame Weber et ses enfants de ne pas douter des regrets que j’en ai ressentis.

On m’a montré à Dresde quelques partitions du célèbre Hasse, dit le Saxon, qui fut autrefois aussi et pendant longtemps l’arbitre des destinées de cette chapelle. Je n’y ai rien trouvé, je l’avoue, de bien remarquable ; un Te Deum seulement, composé exprès pour une commémoration glorieuse de la cour de Saxe, m’a paru pompeux et éclatant comme une sonnerie de grandes cloches lancées à toute volée. Ce Te Deum, pour ceux qui se contentent en pareil cas d’une puissante sonorité, devra paraître beau ; quant à moi cette qualité ne me semble pas suffisante. Ce que je voudrais connaître surtout, mais connaître par une bonne représentation, ce sont quelques-uns des nombreux opéras que Hasse écrivit pour les théâtres d’Italie, d’Allemagne et d’Angleterre, et qui lui valurent son immense réputation. Pourquoi n’essaye-t-on pas à Dresde d’en remonter au moins un ? C’est une expérience curieuse à faire ; ce serait peut-être une résurrection. La vie de Hasse a dû être fort incidentée ; j’ai cherché inutilement à la connaître. Je n’ai rien trouvé à son sujet que de vulgaires biographies, qui répétaient ce que je savais déjà, et ne disaient mot de ce que j’aurais voulu apprendre. Il a tant voyagé, tant vécu sous la zone torride et aux pôles, c’est-à-dire en Italie et en Angleterre ! Il doit y avoir un curieux roman dans ses relations avec le Vénitien Marcello, dans ses amours avec la Faustina, qu’il épousa, et qui chantait les principaux rôles de ses opéras ; dans leurs disputes conjugales, guerre d’auteur à cantatrice, où le maître était l’esclave, où la raison avait toujours tort. Peut-être aussi n’y a-t-il rien eu de tout cela ; qui sait ? Faustina a pu vivre en diva très-humaine, en cantatrice modeste, en vertueuse épouse, bonne musicienne, fidèle à son mari, fidèle à ses rôles, disant son chapelet et tricotant des bas quand elle n’avait rien à faire. Hasse écrivait, Faustina chantait ; ils gagnaient tous les deux beaucoup d’argent qu’ils ne dépensaient pas. Cela s’est vu, cela se voit ; si vous vous mariez, c’est ce que je vous souhaite.

Quand je quittai Dresde pour retourner à Leipzig, Lipinski apprenant que Mendelssohn montait pour le concert des pauvres, mon finale de Roméo et Juliette,