vibrer plus longtemps cette corde-là... Et c’est ainsi que je n’ai rien appris de positif au sujet de cette Sophie, patronne d’une académie de chant, d’une salle de concerts et d’une île.
Malheureusement cette délicieuse retraite au milieu des eaux vives de la Moldau, ombragée l’été d’une ceinture verdoyante, et couronnée de fleurs, recèle, non loin de son temple à l’Harmonie, deux ou trois de ces établissements abominables, pour lesquels je n’eus jamais assez de malédictions, qu’on appelle en français guinguettes, où de mauvais musiciens font d’exécrable musique en plein mauvais air, où des filles et des garçons de mauvaise vie se livrent à des danses de mauvais caractère, pendant que des oisifs fument de mauvais tabac en buvant de la bière qui ne vaut pas mieux, et que de mauvaises ménagères tricotent en donnant carrière a leur mauvaise langue. Quelle déplorable idée de dépoétiser ainsi un tel berceau de fleurs et de feuillage, de mêler des senteurs si nauséabondes à ses parfums, et de pareilles rumeurs à ses douces mélodies !... L’île des Chasseurs n’est-elle pas là avec ses tavernes, le bruit de ses moulins et le voisinage de ses tanneries ? Et ne convient-elle pas mieux sous tous les rapports à ces joies populaires ? Décidément, entre nous, je crains bien que Sophie n’ait eu les mains gercées...
Je reviens brusquement à la musique, en me réservant de divaguer encore, et de la quitter de nouveau quand bon me semblera. Vous ne prétendez pas, j’espère, mon cher ami, que je vous écrive une dissertation assommante plus que savante, aussi prétentieuse qu’ennuyeuse, plus futile qu’utile (je suis poëte évidemment ! admirez un peu avec quelle facilité les rimes se pressent sous ma plume !) sur les révolutions de la musique en Bohême, sur les tendances particulières de l’esprit slave, et sur l’époque présumée où les anciens maîtres de ce pays permirent l’emploi de la septième de dominante sans préparation. Sur ces hautes et graves questions, il faut avouer mon ignorance incurable ; et si ma paresse même était moins obstinée à l’endroit de l’étude de l’histoire ou des histoires, j’aimerais certes mieux faire des recherches au sujet de la fameuse guitare ornée d’ivoire, dont le philosophe Koang-fu-Tsée, vulgairement dit Confucius, se servit pour moraliser l’empire de la Chine. Car je joue de la guitare, moi aussi, et pourtant je n’ai jamais moralisé seulement la population d’une chambre à coucher de dix pieds carrés ; au contraire. Ma guitare, il est vrai, est fort simple, et la dent de l’éléphant n’entra pour rien dans ses ornements. N’importe, le passage suivant que je relisais hier pour la centième fois au moins, est un bien beau sujet de méditations pour les musiciens philosophes, (je ne compte pas les philosophes musiciens, on n’en a pas vu depuis Leibnitz). Voici mon passage, que je crois avoir déjà reproduit quelque part :
«Koang-fu-Tsée, ayant entendu par hasard le chant Li-Pô, dont l’antiquité remontait, de l’avis de tout le monde, à quatorze mille ans (dites après cela que