Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/403

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cela se peut fort bien. En vous y prenant de telle ou telle manière, vous viendrez à bout de cette difficulté.» Ou bien : «C’est difficile, il est vrai ; mais si, en travaillant quelques jours, cela demeure impossible pour vous, il en faudra conclure que votre instrument vous est très-imparfaitement connu, et on sera obligé de recourir à un artiste plus habile.» Dans le cas contraire, trop fréquent, il faut l’avouer, où le compositeur, faute de connaissances spéciales, tourmente les artistes, les virtuoses même les plus familiarisés avec les difficultés de leur instrument, pour obtenir d’eux l’exécution de choses impraticables, le chef d’orchestre, sûr de son fait, pourra prendre parti pour les musiciens contre le compositeur, et faire remarquer à celui-ci les graves erreurs dans lesquelles il est tombé. Disons encore, puisque j’ai été amené à parler des chefs d’orchestre, qu’il ne serait pas trop hors de propos, dans un conservatoire bien organisé, d’enseigner aux élèves de composition surtout, ce qu’il est possible de démontrer de l’art difficile de diriger les masses vocales et instrumentales ; afin que, dans l’occasion, ils pussent au moins conduire eux-mêmes l’exécution de leurs propres œuvres, sans être ridicules, et sans entraver les musiciens au lieu de les aider. On suppose généralement que tout compositeur est chef d’orchestre né, c’est-à-dire qu’il connaît l’art de diriger l’orchestre sans l’avoir appris. Beethoven fut un illustre exemple de la fausseté de cette opinion, et nous pourrions citer un grand nombre d’autres maîtres dont les compositions jouissent de l’estime générale, qui, dès qu’ils prennent le bâton, au lieu de battre la mesure, battent la campagne, ne savent ni marquer les temps, ni déterminer les nuances de mouvement, et empêcheraient littéralement les musiciens de marcher, si, reconnaissant bien vite l’inexpérience de leur chef, ceux-ci ne prenaient le parti de ne plus le regarder, et de ne tenir aucun compte de l’agitation déréglée de son bras. D’ailleurs il y a deux parties bien distinctes dans la tâche du chef d’orchestre : la première (la plus aisée) consiste seulement à conduire l’exécution d’une œuvre déjà connue des musiciens, d’une œuvre (pour employer l’expression en usage dans les théâtres) toute montée. Dans la seconde, au contraire, il s’agit pour lui de diriger les études d’une partition inconnue aux exécutants, de bien mettre à découvert la pensée de l’auteur, de la rendre claire et saillante, d’obtenir des musiciens les qualités de fidélité, d’ensemble et d’expression, sans lesquelles il n’y a pas de musique, et, une fois maître des difficultés matérielles, de les identifier avec lui-même, de les échauffer de son ardeur, de les animer de son enthousiasme, en un mot, de leur communiquer son inspiration.

Il résulte de là, qu’indépendamment des connaissances élémentaires qui s’acquièrent par l’étude et l’exercice, et des qualités de sentiment, d’instinct, qu’on ne peut inculquer à personne, que la nature seule donne, et qui font du chef d’orchestre le premier des interprètes du compositeur ou son plus