Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/75

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état, en grande partition ; et l’arrangeur mit, à côté du nom de Mozart, son nom de crétin, son nom de profanateur, son nom de Lachnith[1] que je donne ici pour digne pendant à celui de Castilblaze.

Ce fut ainsi qu’à vingt ans d’intervalle, chacun de ces mendiants vint se vautrer avec ses guenilles sur le riche manteau d’un roi de l’harmonie : c’est ainsi qu’habiles en singes, affublés de ridicules oripeaux, un œil crevé, un bras tordu, une jambe cassée, deux hommes de génie furent présentés au public français ! Et leurs bourreaux dirent au public : Voilà Mozart, voilà Weber ! et le public les crut. Et il ne se trouva personne pour traiter ces scélérats selon leur mérite et leur envoyer au moins un furieux démenti !

Hélas ! les connût-il, le public s’inquiète peu de pareils actes. Aussi bien en Allemagne, en Angleterre et ailleurs qu’en France, on tolère que les plus nobles œuvres dans tous les genres soient arrangées, c’est-à-dire gâtées, c’est-à-dire insultées de mille manières, par des gens de rien. De telles libertés, on le reconnaît volontiers, ne devraient être prises à l’égard des grands artistes (si tant est qu’elles dussent l’être) que par des artistes immenses et bien plus grands encore. Les corrections faites à une œuvre, ancienne ou moderne, ne devraient jamais lui arriver de bas en haut, mais de haut en bas, personne ne le conteste ; on ne s’indigne point pourtant d’être témoin du contraire chaque jour.

Mozart a été assassiné par Lachnith ;

Weber, par Castilblaze ;

Gluck, Grétry, Mozart, Rossini, Beethoven, Vogel ont été mutilés par ce même Castilblaze[2] ; Beethoven a vu ses symphonies corrigées par Fétis[3], par Kreutzer et par Habeneck ;

Molière et Corneille furent taillés par des inconnus, familiers du Théâtre-Français ;

Shakespeare enfin est encore représenté en Angleterre, avec les arrangements de Cibber et de quelques autres.

Les corrections ici ne viennent pas de haut en bas, ce me semble ; mais bien de bas en haut, et perpendiculairement encore !

Qu’on ne vienne pas dire que les arrangeurs, dans leurs travaux sur les maîtres, ont fait quelquefois d’heureuses trouvailles ; car ces conséquences exceptionnelles ne sauraient justifier l’introduction dans l’art d’une aussi monstrueuse immoralité.

Non, non, non, dix millions de fois non, musiciens, poëtes, prosateurs,

  1. Et non pas Lachnitz ; il est important de ne pas mal orthographier le nom d’un si grand homme.
  2. Il n’y a presque pas une partition de ces maîtres qu’il n’ait retravaillée à sa façon ; je crois qu’il est fou.
  3. Je dirai comment.