Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/84

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au Conservatoire, n’ont qué cé zour-là pour sé réposer, vous voulez donc les faire mourir dé fatigue, ces pauvre zens, les... les... les faire mourir ?...

— Vous plaisantez sans doute, monsieur : ces pauvres gens qui vous inspirent tant de pitié, sont enchantés, au contraire, de trouver une occasion de gagner de l’argent, et vous leur feriez tort en la leur enlevant.

— Zé né veux pas, zé né veux pas ! et zé vais écrire au surintendant pour qu’il vous retire son autorisation.

— Vous êtes bien bon, monsieur ; mais M. de Larochefoucault ne manquera pas à sa parole. Je vais, d’ailleurs, lui écrire aussi de mon côté, en lui envoyant la reproduction exacte de la conversation que j’ai l’honneur d’avoir en ce moment avec vous. Il pourra ainsi apprécier vos raisons et les miennes.

Je l’envoyai en effet telle qu’on vient de la lire. J’ai su, plusieurs années après, par un des secrétaires du bureau des Beaux-Arts, que ma lettre dialoguée avait fait rire aux larmes le surintendant. La tendresse de Cherubini pour ces pauvres employés du Conservatoire que je voulais faire mourir de fatigue par mon concert, lui avait paru surtout on ne peut plus touchante. Aussi me répondit-il immédiatement comme tout homme de bon sens devait le faire, et, en me donnant de nouveau son autorisation, ajouta-t-il ces mots dont je lui saurai toujours un gré infini : «Je vous engage à montrer cette lettre à M. Cherubini qui a reçu à votre égard les ordres nécessaires.» Sans perdre une minute, après la réception de la pièce officielle, je cours au Conservatoire, et, la présentant au directeur : «Monsieur, veuillez lire ceci.» Cherubini prend le papier, le lit attentivement, le relit, de pâle qu’il était, devient verdâtre, et me le rend sans dire un seul mot.

Ce fut le premier serpent à sonnettes qui lui arriva de ma main pour répondre à la couleuvre qu’il m’avait fait avaler, en me chassant de la Bibliothèque lors de notre première entrevue.

Je le quittai avec une certaine satisfaction, en murmurant à part moi, et assez irrévérencieux pour contrefaire son doux langage : Allons, monsieur lé directeur, ce n’est qu’un petit serpent bien zentil, avalez-le agréablement ; é dé la douceur, dé la douceur ! Nous en verrons bien d’autres, peut-être, si vous né me laissez pas tranquille !