Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/95

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Les votes recueillis et les concurrents désignés, ceux-ci devaient se représenter bientôt après pour recevoir les paroles de la scène qu’ils allaient avoir à mettre en musique, et entrer en loge. M. le secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts leur dictait collectivement le classique poëme, qui commençait presque toujours ainsi :

«Déjà l’aurore aux doigts de rose.
Ou :
»Déjà le jour naissant ranime la nature.
Ou :
»Déjà d’un doux éclat l’horizon se colore.
Ou :
»Déjà du blond Phœbus le char brillant s’avance.
Ou :
»Déjà de pourpre et d’or les monts lointains se parent.
etc., etc.

Les candidats, munis du lumineux poëme, étaient alors enfermés isolément avec un piano, dans une chambre appelée loge, jusqu’à ce qu’ils eussent terminé leur partition. Le matin à onze heures et le soir à six, le concierge, dépositaire des clefs de chaque loge, venait ouvrir aux détenus, qui se réunissaient pour prendre ensemble leur repas ; mais défense à eux de sortir du palais de l’Institut.

Tout ce qui leur arrivait du dehors, papiers, lettres, livres, linge, était soigneusement visité, afin que les concurrents ne pussent obtenir ni aide, ni conseil de personne. Ce qui n’empêchait pas qu’on ne les autorisât à recevoir des visites dans la cour de l’Institut, tous les jours de six à huit heures du soir, à inviter même leurs amis à de joyeux dîners, où Dieu sait tout ce qui pouvait se communiquer, de vive voix ou par écrit, entre le vin de Bordeaux et le vin de Champagne. Le délai fixé pour la composition était de vingt-deux jours ; ceux des compositeurs qui avaient fini avant ce temps étaient libres de sortir après avoir déposé leur manuscrit, toujours numéroté et signé.

Toutes les partitions étant livrées, le lyrique aréopage s’assemblait de nouveau et s’adjoignait à cette occasion deux membres pris dans les autres sections de l’Institut ; un sculpteur et un peintre, par exemple, ou un graveur et un architecte, ou un sculpteur et un graveur ou un architecte et un peintre, ou même deux graveurs, ou deux peintres, ou deux architectes, ou deux sculpteurs. L’important était qu’ils ne fussent pas musiciens. Ils avaient voix délibérative, et se trouvaient là pour juger d’un art qui leur est étranger.

On entendait successivement toutes les scènes écrites pour l’orchestre, comme je