Les anciens maîtres de l’école française qui n’employaient jamais la voix de tête, ont écrit dans leurs Opéras une partie qu’ils nommaient Haute-contre et que les étrangers, trompés par l’interprétation naturelle du mot italien Contralto prennent souvent pour la voix grave des femmes. Ce nom désignait cependant une voix d’homme habituée à chanter presque exclusivement, et en sons de poitrine, les cinq notes hautes (y compris le Si naturel) de l’échelle du premier Ténor. Le diapason était-il, comme on le croit généralement, plus bas d’un ton que le diapason actuel. Les preuves de ce fait ne me paraissent pas irrécusables, et le doute à cet égard est encore permis aujourd’hui, quand un Si naturel se présente dans un chœur, la plupart des Ténors le prennent en son de tête, mais les Ténors très hauts (les hautes-contre) l’attaquent encore en voix de poitrine sans hésitation.
Les voix d’enfants sont d’un excellent effet dans les grands chœurs. Les Soprani des petits garçons ont même quelque chose d’incisif, de cristallin, qui manque au timbre de Soprani des femmes. Dans une composition douce, onctueuse et calme, ceux-ci toutefois, plus pleins et moins perçants, me paraîtront toujours préférables. Quant aux Castrats, à en juger par ceux que j’en ai entendus à Rome, il ne me semble pas qu’il faille beaucoup en regretter l’usage, aujourd’hui à peu près abandonné.
Il y a dans le nord de l’Allemagne et en Russie des Basses tellement graves, que les compositeurs ne craignent pas de leur donner, sans préparation, des Ré et des Ut à soutenir au dessous des portées. Ces voix précieuses nommées Basses-contre contribuent puissamment au prodigieux effet du chœur de la chapelle impériale de Saint-Pétersbourg, le premier chœur du monde, au dire de tous ceux qui l’ont entendu. Les Basses-contre ne s’élèvent guère que jusqu’au Si ou à l’Ut au dessus des portées.
Il faut avoir soin pour bien employer les sons très graves des voix de Basses, de ne pas leur donner des successions de notes trop rapides, et trop chargées de paroles. D’un autre côté, les vocalisations chorales dans le bas de l’échelle sont d’un détestable effet ; il est vrai d’ajouter qu’elles ne sont pas beaucoup meilleures dans le médium, et que malgré l’exemple donné par la plupart des grands maîtres, ces roulades ridicules sur les paroles du Kyrie eleison, ou sur le mot Amen, qui suffiraient à faire des fugues vocales dans la musique d’Église une indécente et abominable bouffonnerie, seront, il faut l’espérer, bannies à l’avenir de toute composition sacrée digne de l’objet qu’elle se propose. Les vocalisations lentes et douces des Soprani seuls, accompagnant une mélodie des autres voix placées au dessous d’elles, sont au contraire d’une pieuse et angélique expression. Il ne faut pas oublier de les entremêler de petits silences, pour permettre aux choristes de respirer.
Les modes d’émission qui produisent chez les hommes les sons de voix mixtes et sombres sont extrêmement précieux et donnent un grand caractère au chant individuel et au chant choral.
La voix mixte tient à la fois du timbre des notes de poitrine et de celui des notes de tête ; mais, de même que pour ces dernières, il est impossible d’assigner aux sons mixtes une limite invariable en bas ou en haut. Telle voix peut prendre le timbre mixte très haut, telle autre ne peut le saisir que sur des notes moins élevées. Quant à la voix sombre dont le nom indique le caractère, elle dépend non seulement du mode d’émission, mais encore de la nuance de force de l’exécution et du sentiment qui anime les chanteurs. Un chœur d’un mouvement peu agité, et devant être dit sotto voce, sera très aisément exécuté en voix sombre, pour peu que les choristes aient l’intelligence de l’expression et l’habitude du chant. Cette nuance d’exécution vocale mise en opposition avec celle des sons rudes et brillants du Forte dans le haut, produit toujours un grand effet. Il faut citer, comme un magnifique exemple en ce genre, le chœur d’Armide, de Gluck : « Suis l’amour puisque tu le veux », dont les deux premières strophes dites à voix sombre, donnent un éclat terrible à la péroraison, prise à pleine voix et Fortissimo, au retour de la phrase : « Suis l’amour », il est impossible de mieux caractériser la menace contenue et une subite explosion de fureur. C’est bien ainsi que doivent chanter les Esprits de Haine et de rage.