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LA VILLE AUX ILLUSIONS

— Monsieur, j’ai donné un coup de poing à Muchet ; c’est ce qui l’a étourdi.

— Un coup de poing ? Pour quelle raison ?

Jean hésita légèrement :

Le chef de la manutention haussa les épaules.

— Vous mériteriez qu’on vous fiche à la porte tous les deux. Nous ne voulons pas d’histoire comme ça dans la maison, hein ? C’est compris ? D’ailleurs, ça va changer. Muchet, désormais, c’est le petit Favreau qui vous accompagnera. Il est fort et costaud pour ses quinze ans. Quant à Gardin, il livrera avec la voiture à bras. Comme ça, vous ne vous disputerez pas. Allez ! ouste ! Embarquez-moi cette dernière caisse, puis vous chargerez sur la petite voiture les deux paquets de papier destinés à M. Loumeau, 18 bis, rue de Liège… Gardin ira les livrer…

Il tourna les talons. Penauds, les deux belligérants reprirent leur ouvrage sans un mot. Enfin, Muchet murmura :

— Tu sais, mon vieux, je regrette de t’avoir appelé fillette.

Jean sourit et lui tendit une main cordiale :

— Moi, je regrette mon coup de poing…

— Bah ! n’en parlons plus… Seulement, ça m’ennuie qu’à cause de cette bête l’histoire, tu sois obligé de coltiner les ballots à travers la capitale.

Il haussa les épaules, insoucieusement

— Bah ! t’en fais pas… On se débrouillera bien, va !

Il fallut bien se débrouiller. Mais le pauvre garçon comprit vite qu’il n’avait pas gagné au change… Par la pluie, par le froid terrible de cet hiver qui se prolongeait jusque dans les premiers jours du printemps, il devait aller, poussant devant lui une petite charrette à bras lourdement chargée… Certes, le métier était dur ! Mais il avait un avantage : c’est que, le soir, quand il rentrait dans sa chambrette, à moitié mort de fatigue, il ne songeait plus qu’à dormir comme une brute, et le souvenir d’Arlette s’estompait un peu dans son cœur…