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Page:Bernanos - Œuvres, tome 6 - Un crime ; Monsieur Ouine, 1947.djvu/139

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funèbres. Toutes ces sollicitudes, les sollicitudes de toute une vie, à la queue leu leu, le long des allées du cimetière… C’est un triste et dégoûtant spectacle, madame Pouce. L’hôtelière le regardait, s’efforçant de comprendre. Aux derniers mots elle respira.

– Bien sûr, fit-elle humblement. Mais quant à M. l’abbé Etchegoyen, voyez-vous, c’est ma faute. J’ai parlé un peu de vous, l’autre jour, comme ça, sans penser. Alors, il s’est mis dans la tête de faire votre connaissance. Dame ! il n’y a pas plus curieux qu’un prêtre, c’est connu. Soit dit sans offense, car pour vous…

– Pour moi ?

– On n’en rencontre pas souvent de pareils, conclut-elle en rougissant.

– Où est-il ? demanda le curé de Mégère. Je ne veux pas le recevoir ici. Et d’ailleurs… Puisque vous parliez de moi, madame Pouce, vous auriez pu lui dire… Mon Dieu, que sais-je ? Vous auriez pu lui dire, par exemple, que j’étais un homme dangereux…

Il haussa les épaules et effleura de la main, en passant, la joue dorée du petit clergeon, debout contre le mur. On entendit longtemps sonner son pas sur le chemin pierreux.

– Des prêtres tels que celui-là, mon garçon…, commença Mme Pouce. Accroupie devant l’âtre, elle soufflait sur les bûches noircies essuyant à son tablier ses yeux rougis par les cendres.

– Pour moi, reprit-elle, si jeune que le voilà, il a plus d’expérience que bien d’autres, c’est un homme qui connaît le malheur. Ne me parle pas des curés d’ici, de vrais diables, poilus comme des bêtes, avec des yeux qui font peur. Et pas commodes, non ! Le dimanche à la sortie de la messe, faut les entendre interpeller chacun, chacune ! Gare aux filles qui vont danser chez Caubert, à Andrain. Et si un gosse a seulement manqué l’Évangile, pif ! paf ! deux paires de claques. Même les vieux filent doux, ainsi !

Tout en parlant, elle continuait d’observer le petit clergeon d’un regard oblique.

– On trouve de tout chez les prêtres, pas vrai ? C’est un métier pareil aux autres. N’empêche que je me suis laissé dire…