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Page:Bernanos - Œuvres, tome 6 - Un crime ; Monsieur Ouine, 1947.djvu/151

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Jugeant la partie perdue et sa dignité compromise, il prit le parti de s’éloigner en traînant ostensiblement ses savates, avec un profond mépris.

Pour Mlle Évangeline Souricet, Châteauroux

(aux soins discrets de M. l’abbé Capdevieille, aumônier des Sœurs de la Repentance).

« Mon amie, je ne vous verrai plus. Cela ne m’étonne pas de l’écrire, et vous ne vous étonnerez pas non plus de le lire. Je me souviens de notre première rencontre à Châteauroux, dans cette petite chapelle de nonnes, toute grise. Vous aviez votre mine des mauvais jours, couleur de pluie, votre pauvre petit sourire bêta… En revenant ensemble, le long de la rue des Grainetiers, entre deux hauts murs, parmi ces jardins invisibles, nous n’avons pas échangé dix paroles. Ce n’est pas que vous aimez le silence, mais il vous fascine. Moi, je l’aime. Tout ce que j’aime a sur vous ce pouvoir de fascination. C’est pourquoi vous avez cru m’aimer, moi aussi. Et vous le croirez jusqu’au jour…

« Mais non. Ce jour ne viendra pas… Rien ne m’effacera, je le sais. Après moi, pour vous, il n’y a rien. Cette solitude dont je vous ai tirée, ces longues années de solitude, ces années vaines, votre jeunesse, – la seule que vous fussiez capable de vivre, tour à tour brûlante et glacée, – ces années secrètes, n’auront été que pour moi. Pour moi seule, votre attente, car désormais vous n’attendrez plus personne. Il faudrait beaucoup plus qu’une vie de femme pour reformer en vous, au profit d’un autre être qui me vaille, ce que vous n’aurez prodigué, dissipé, anéanti que pour moi.

« Vous m’avez craint, mon amie. Il n’y a pas d’amour sans crainte. En ce moment vous me craignez encore – que cette pensée m’est douce ! Vous me craindrez longtemps encore, toujours peut-être… Souvenez-vous ! Souvenez-vous ! Dès la première minute, ou le premier mot échangé, quand nous discutions si paisiblement du prix de ma pension, de vos habitudes et des miennes, que nous parlions modestement d’un