Page:Bernanos - Œuvres, tome 6 - Un crime ; Monsieur Ouine, 1947.djvu/61

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funèbre saillie des pommettes dont l’os semblait prêt à percer la peau. Les vains efforts de la gouvernante pour effacer avec son mouchoir la couche épaisse de fard n’avaient réussi qu’à l’étaler jusqu’aux tempes, donnant à ce visage de petite bourgeoise un air de mascarade funèbre.

– La victime possédait-elle un revolver ? demanda tout à coup le procureur. À cette question, le juge qui feignait d’examiner attentivement la fenêtre, se retourna brusquement.

– Oui, monsieur, dit l’ancienne religieuse.

Elle alla droit vers le secrétaire, ouvrit un tiroir et de la même voix indifférente :

– Il était là d’ordinaire.

– Il était là, répéta le procureur. Il n’y est plus. Bon ; la victime… Mais la réponse vint avant qu’il eût achevé sa phrase.

– Mme Beauchamp n’y attachait aucune importance, monsieur le procureur. Elle n’était pas craintive. Nous n’avions d’ailleurs aucune raison de craindre qui que ce fût. La maison nous a toujours paru un peu isolée, voilà tout.

– Votre maîtresse, le cas échéant, eût-elle été capable de se défendre, de se servir d’une arme à feu ?

– Certainement. C’était la femme d’un militaire, elle avait beaucoup voyagé, parfois même dans des contrées peu sûres, au Chili, au Brésil.

– A-t-elle tiré cette nuit ?

– Non.

– Pourquoi ?

– Parce que je l’aurais entendu. Je dors très peu.

– En somme, vous assuriez vous seule la surveillance et la protection de cette maison ?

– Oui, monsieur. Mme Beauchamp menait dans ces derniers temps une vie très… très distraite. Elle ne recevait plus personne depuis des mois. Elle ne s’occupait jamais de rien. Ce que je faisais était bien fait.

– Alors vous auriez dû savoir que votre petite bonne avait un amoureux qui lui donnait rendez-vous chaque jour dans le parc, à la brune. Il s’y trouvait encore hier soir, mes renseignements sont formels. Hé bien ? Vous saviez ça ?

– Oui, monsieur. Il s’agit du fils Rouart, un bon garçon.