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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

cerie des Quatre-Tilleuls. Il a paru rassuré.

J’ai eu l’impression très nette qu’il avait une idée en tête, mais qu’il était déjà décidé à la garder pour lui. Il m’écoutait d’un air distrait, tandis que son regard me posait malgré lui une question à laquelle j’aurais été bien en peine de répondre, puisqu’il refusait de la formuler. Comme d’habitude lorsque je me sens intimidé j’ai parlé un peu à tort et à travers. Il y a certains silences qui vous attirent, vous fascinent, on a envie de jeter n’importe quoi dedans, des paroles…

— Tu es un drôle de corps, m’a-t-il dit enfin. Un plus nigaud, on n’en trouverait pas dans tout le diocèse, sûr ! Avec ça, tu travailles comme un cheval, tu te crèves. Il faut que Monseigneur ait vraiment grand besoin de curés pour te mettre une paroisse dans les mains ! Heureusement que c’est solide, au fond, une paroisse ! Tu risquerais de la casser.

Je sentais bien qu’il tournait en plaisanterie, par pitié pour moi, une manière de voir très réfléchie, très sincère. Il a lu cette pensée dans mes yeux.

— Je pourrais t’accabler de conseils, à quoi bon ? Lorsque j’étais professeur de mathématiques, au collège de Saint-Omer, j’ai connu des élèves étonnants qui finissaient par résoudre des problèmes très compliqués en dépit des règles d’usage, comme ça, par malice. Et puis quoi, mon petit, tu n’es pas sous mes ordres, il faut que je te laisse faire, donner ta mesure. On n’a pas le droit de fausser le jugement de tes supérieurs.