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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

beau soutenir que cette sorte d’approfondissement intérieur ne ressemble à aucun autre, qu’au lieu de nous découvrir à mesure notre propre complexité il aboutit à une soudaine et totale illumination, qu’il débouche dans l’azur, on se contentera de hausser les épaules. Quel homme de prières a-t-il pourtant jamais avoué que la prière l’ait déçu ?

Je ne tiens littéralement pas debout, ce matin. Les heures qui m’ont paru si longues ne me laissent aucun souvenir précis — rien que le sentiment d’un coup parti on ne sait d’où, reçu en pleine poitrine, et dont une miséricordieuse torpeur ne me permet pas encore de mesurer la gravité.

On ne prie jamais seul. Ma tristesse était trop grande, sans doute ? Je ne demandais Dieu que pour moi. Il n’est pas venu.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je relis ces lignes écrites au réveil, ce matin. Depuis…

Si ce n’était qu’une illusion ?… Ou peut-être… Les Saints ont connu de ces défaillances… Mais sûrement pas cette sourde révolte, ce hargneux silence de l’âme, presque haineux…

Il est une heure : la dernière lampe du village vient de s’éteindre. Vent et pluie.

Même solitude, même silence. Et cette fois aucun espoir de forcer l’obstacle, ou de le tourner. Il n’y a d’ailleurs pas d’obstacle.