appelait la férocité des hommes et la bêtise du sort était menée en dépit du bon sens, qu’on ne guérirait pas la société de l’injustice — qui tuerait l’une tuerait l’autre. Il comparait l’illusion des réformateurs à celle des anciens pasteuriens qui rêvaient d’un monde aseptique. En somme, il se tenait pour un réfractaire, rien de plus, le survivant d’une race disparue depuis longtemps — supposé qu’elle eût jamais existé — et qu’il menait contre l’envahisseur, devenu avec les siècles, le possesseur légitime, une lutte sans espoir et sans merci. « Je me venge », disait-il. Bref, il ne croyait pas aux troupes régulières, comprends-tu ? « Lorsque je rencontre une injustice qui se promène toute seule, sans gardes, et que je la trouve à ma taille, ni trop faible ni trop forte, je saute dessus, et je l’étrangle. » Ça lui coûtait cher. Pas plus tard que le dernier automne, il a payé les dettes de la vieille Gachevaume, onze mille francs, parce que M. Duponsot, le minotier, s’était arrangé pour racheter les créances et guettait la terre. Évidemment la mort de sa satanée tante lui a porté le dernier coup. Mais quoi ! Trois ou quatre cent mille francs, ça n’aurait fait qu’une flambée, dans ces mains-là ! D’autant qu’avec l’âge, pauvre cher homme, il était devenu impossible. Est-ce qu’il ne s’était pas mis en tête d’entretenir — c’est le mot — un vieil ivrogne du nom de Rebattut, un ancien braconnier, paresseux comme un loir, qui vit dans une cabane de charbonniers, en lisière du fonds
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