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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

sentiers, on la surprend face à face, telle quelle, telle qu’elle est sortie des mains du Maître des prodiges, le cri qui sort des entrailles n’est pas seulement d’épouvante mais d’imprécation : « C’est toi, c’est toi seule qui as déchaîné la mort dans le monde ! »

Le tort de beaucoup de prêtres plus zélés que sages est de supposer la mauvaise foi : « Vous ne croyez plus parce que la croyance vous gêne. » Que de prêtres ai-je entendu parler ainsi ! Ne serait-il pas plus juste de dire : la pureté ne nous est pas prescrite ainsi qu’un châtiment, elle est une des conditions mystérieuses mais évidentes, — l’expérience l’atteste — de cette connaissance surnaturelle de soi-même, de soi-même en Dieu, qui s’appelle la foi. L’impureté ne détruit pas cette connaissance, elle en anéantit le besoin. On ne croit plus, parce qu’on ne désire plus croire. Vous ne désirez plus vous connaître. Cette vérité profonde, la vôtre, ne vous intéresse plus. Et vous aurez beau dire que les dogmes qui obtenaient hier votre adhésion sont toujours présents à votre pensée, que la raison seule les repousse, qu’importe ! On ne possède réellement que ce qu’on désire, car il n’est pas pour l’homme de possession totale, absolue. Vous ne vous désirez plus. Vous ne désirez plus votre joie. Vous ne pouviez vous aimer qu’en Dieu, vous ne vous aimez plus. Et vous ne vous aimerez plus jamais en ce monde ni dans l’autre — éternellement.

(On peut lire au bas de cette page, en marge,