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JOURNAL

rentrera pas avant huit ou dix jours au moins. D’ici là…

Écrire me paraît inutile. Je ne saurais confier un secret au papier, je ne pourrais pas. Je n’en ai d’ailleurs probablement pas le droit.

La déception a été si forte qu’en apprenant la nouvelle du départ de M. le Curé, j’ai dû m’appuyer au mur pour ne pas tomber. La gouvernante m’observait d’un regard plus curieux qu’apitoyé, d’un regard que j’ai déjà surpris plus d’une fois depuis quelques semaines, et chez des personnes bien différentes — le regard de Mme la comtesse, celui de Simplice, d’autres encore… On dirait que je fais peur, un peu.

La laveuse Martial étendait sa lessive dans la cour, et comme je me donnais le temps de souffler avant de me remettre en route, j’ai parfaitement entendu que les deux femmes parlaient de moi. L’une d’elles a dit plus haut, d’un accent qui m’a fait rougir : « Pauvre garçon ! » Que savent-elles ?

♦♦♦ Journée terrible pour moi. Et le pis, c’est que je me sens incapable d’aucune appréciation raisonnable, modérée, de faits dont le véritable sens m’échappe peut-être. Oh ! j’ai connu des moments de désarroi, de détresse. Mais alors, et à mon insu, je gardais cette paix intérieure où les événements et les êtres se reflétaient comme dans un miroir, une nappe d’eau limpide qui me renvoyait leur image. La source est troublée, maintenant.

Chose étrange, honteuse peut-être ? alors