Aller au contenu

Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/228

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
218
JOURNAL

la vivante s’efface et la mémoire ne gardera, je le sais, que l’image de la morte, sur laquelle Dieu a posé sa main. Que voudrait-on qui me restât dans l’esprit de circonstances si fortuites, à travers lesquelles je me suis dirigé comme à tâtons, en aveugle ? Notre-Seigneur avait besoin d’un témoin, et j’ai été choisi, faute de mieux sans doute, ainsi qu’on appelle un passant. Il faudrait que je fusse bien fou pour m’imaginer avoir tenu un rôle, un vrai rôle. C’est déjà trop que Dieu m’ait fait la grâce d’assister à cette réconciliation d’une âme avec l’espérance, à ces noces solennelles.

J’ai dû quitter le château vers deux heures, et la séance du catéchisme s’est prolongée beaucoup plus tard que je n’avais pensé, car nous sommes en plein examen trimestriel. J’aurais bien désiré passer la nuit auprès de Mme la comtesse, mais les religieuses sont toujours là, et M. le chanoine de la Motte-Beuvron, un oncle de M. le comte, a décidé de veiller avec elles. Je n’ai pas osé insister. M. le comte, d’ailleurs, continue à me montrer une froideur incompréhensible, c’est presque de l’hostilité. Que croire ?

M. le chanoine de la Motte-Beuvron, que j’énerve visiblement aussi, m’a pris un moment à part pour me demander si au cours de notre entretien d’hier, Mme la comtesse avait fait quelque allusion à sa santé. J’ai très bien compris qu’il m’invitait ainsi discrètement à parler. L’aurais-je dû ? Je ne le pense pas. Il faudrait tout dire. Et le secret de Mme la