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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

bon Dieu. » — « Elle a donné de votre entrevue une version bien différente. » — « À son aise. Mademoiselle est trop orgueilleuse pour ne pas rougir tôt ou tard de son mensonge, et elle aura honte de celui-ci. Elle a bien besoin d’avoir honte. » — « Et vous ? » — « Oh ! moi, lui dis-je, regardez ma figure. Si le bon Dieu l’a faite pour quelque chose, c’est bien pour les soufflets, et je n’en ai encore jamais reçu. » À ce moment, son regard est tombé sur la porte de la cuisine laissée entr’ouverte, et il a vu ma table encore recouverte de la toile cirée, avec le reste de mon repas : du pain, des pommes (on m’en avait apporté une manne hier) et la bouteille de vin aux trois quarts vide. — « Vous ne prenez pas grand soin de votre santé ? » — « J’ai l’estomac très capricieux, lui répondis-je, je digère très peu de chose, du pain, des fruits, du vin. » — « Dans l’état où je vous vois, je crains que le vin ne vous soit plus nuisible qu’utile. L’illusion de la santé n’est pas la santé. » J’ai tâché de lui expliquer que ce vin était un vieux bordeaux fourni par le garde-chasse. Il a souri.

— « Monsieur le curé, a-t-il repris sur un ton d’égal à égal, presque de déférence, il est probable que nous n’avons pas deux idées communes en ce qui touche le gouvernement des paroisses, mais vous êtes le maître dans celle-ci, vous en avez le droit, il suffit de vous entendre. J’ai trop souvent obéi dans ma vie pour ne pas me faire quelque idée de la véritable autorité, n’importe où je la trouve. N’usez de la vôtre qu’avec prudence. Elle