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JOURNAL

ce que vous êtes, il n’y a pas de remède à cela. Que voulez-vous, mon enfant, ces gens ne haïssent pas votre simplicité, ils s’en défendent, elle est comme une espèce de feu qui les brûle. Vous vous promenez dans le monde avec votre pauvre humble sourire qui demande grâce, et une torche au poing, que vous semblez prendre pour une houlette. Neuf fois sur dix, ils vous l’arracheront des mains, mettront le pied dessus. Mais il suffit d’un moment d’inattention, vous comprenez ? D’ailleurs, à parler franc, je n’avais pas une opinion bien favorable de ma défunte nièce, ces filles de Tréville-Sommerange ont toujours été une drôle d’espèce, et je crois que le diable lui-même ne tirerait pas aisément un soupir de leurs lèvres, et une larme de leurs yeux. Voyez mon neveu, parlez-lui comme vous l’entendrez. Souvenez-vous seulement qu’il est un sot. Et n’ayez aucun égard pour le nom, le titre et autres fariboles dont je crains que votre générosité ne fasse trop de cas. Il n’y a plus de nobles, mon cher ami, mettez-vous cela dans la tête. J’en ai connu deux ou trois, au temps de ma jeunesse. C’étaient des personnages ridicules, mais extraordinairement caractérisés. Ils me faisaient penser à ces chênes de vingt centimètres que les Japonais cultivent dans de petits pots. Les petits pots sont nos usages, nos mœurs. Il n’est pas de famille qui puisse résister à la lente usure de l’avarice lorsque la loi est égale pour tous, et l’opinion juge et maîtresse. Les nobles d’au-