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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

méchante. » — « Sûr ? » — « Sûr comme Dieu me voit ! (De son pouce noirci d’encre, elle s’est signé le front, les lèvres.) Je me souviens de ce que vous avez dit aux autres, — des bonnes paroles, des compliments, tenez, vous appelez Zélida mon petit. Mon petit, cette grosse jument borgne ! Faut bien que ce soit vous pour penser à ça ! » — « Tu es jalouse. » — Elle a poussé un grand soupir, en clignant des yeux, comme si elle cherchait à voir au fond de sa pensée, tout au fond. — « Et pourtant, vous n’êtes pas beau, a-t-elle dit entre ses dents, avec une gravité inimaginable. C’est seulement parce que vous êtes triste. Même quand vous souriez, vous êtes triste. Il me semble que si je comprenais pourquoi vous êtes triste, je ne serais plus jamais mauvaise. » — « Je suis triste, lui dis-je, parce que Dieu n’est pas aimé. » Elle a secoué la tête. Le ruban bleu tout crasseux qui tient sur le haut du crâne ses pauvres cheveux s’était dénoué, flottait drôlement à la hauteur de son menton. Évidemment, ma phrase lui paraissait obscure, très obscure. Mais elle n’a pas cherché longtemps. « Moi aussi, je suis triste. C’est bon, d’être triste. Cela rachète les péchés, que je me dis, des fois… » — « Tu fais donc beaucoup de péchés ? » — « Dame ! (elle m’a jeté un regard de reproche, d’humble complicité) vous le savez bien. C’est pas que ça m’amuse tant, les garçons ! Ils ne valent pas grand’chose. Si bêtes qu’ils sont ! Des vrais chiens fous. » — « Tu n’as pas honte ? » — « Si, j’ai